DERNIER RAPPORT SUR LES MIRACLES A LITTLE NO HORSE, de Louise ERDRICH
Publié le 19 Novembre 2020
Roman - Editions Livre de Poche - 535 pages - 8.80 €
Parution d'origine chez Albin Michel en 2003
L'histoire : Dans une réserve indienne du Dakota du Nord, vit et officie le père Damien, presque centenaire. Depuis près de 80 ans, il est le témoin de nombreux événements, ordinaires ou extraordinaires (des miracles ?) qu'il rapporte méticuleusement par écrit à tous les papes qui se sont succédés depuis. Jamais ne vient une réponse jusqu'à l'arrivée du Père Jude en 1996. Emissaire du Vatican, celui-ci vient étudier la candidature à la sainteté de Soeur Léopolda, une ancienne religieuse de la réserve. Le père Damien lui avouera -t-il secrets et vérités ?
Tentation : Ma PAL
Fournisseur : Ma PAL
Mon humble avis : Ce roman "traine" dans ma PAL depuis 11 ans. Il y traine parce que je l'ai reçu lors d'une participation à un prix littéraire. Je ne l'ai donc pas choisi, et comme il n'est pas du tout le genre de livres vers lequel je me précipite, j'ai rechigné toutes ces années à l'ouvrir et lui donner une chance. Cette fois-ci, j'étais prête à m'y attaquer, et je ne le regrette pas. Car malgré mes "3 pattes", c'est un ouvrage que j'ai apprécié, parce qu'il m'a emmenée vers des territoires littéraires que j'ai si peu, voire peut-être jamais, exploré. Et puis franchement, l'histoire est prenante, le personnage du père Damien très attachant et on se demande bien qu'elle sera l'issue des secrets du père Damien.
Mais cette lecture fut tout de même éprouvante pour moi. Déjà, le livre est un pavé... Donc forcément, c'est long et je ne vais pas nier la présence de quelques longueurs au fil des pages. Mais ces longueurs sont en même temps partie prenante de la narration, et puis tout de même, ce roman saga nous fait traverser presque un siècle ! Le style est très travaillé, use souvent de l'implicite, les personnages sont nombreux et leurs imbrications familiales pas toujours facile à retenir (malgré la présence d'un arbre généalogique au début du bouquin). Tout ceci fait que j'ai dû déployer une attention et une concentration inouïe (pour moi et mon cerveau mal en point) par suivre l'histoire du Père Damien et des Indiens Obijwe, et que cela m'a épuisée... Mais le tout pour la bonne cause.
Dernier rapport sur les miracles à Little No Horse est un roman vraiment fantasmagorique* et baroque**. et assez picaresque. Si vous êtes cartésiens et si vous ne vous épanouissez que dans le rationnel, passez votre chemin. Si vous aimez quand l'extraordinaire se mêle à l'ordinaire, quand la frontière entre la réalité et la spiritualité est ténue, cette histoire devrait vraiment vous plaire. Car nous suivons tout d'abord les pas (quelques années) qui mène le Père Damien (je ne divulgâcherais pas son secret, même s'il apparaît dans les premiers chapitres), ce personnage ô combien admirable, original, dévoué, humain dans toute sa complexité de foi et de doute, jusqu'à la réserve Indienne dans les années 1910-1912. Puis ce sont 80 années qui se déroulent sous nos yeux, faites d'aventures et de mésaventures, de naissances, de décès, de crime. Et pourtant dans ces pages, le temps semble immobile. Certes, quelques instruments modernes apparaissent (comme le sac de congélation). D'ailleurs, Louise Erdrich offre de belles réflexions sur le temps, la foi, le doute, le mensonge, l'esprit, l'âme, la tentation, le pêché, le crime, la dévotion, la fragilité des convictions, l'amour des siens etc... tantôt sous le prisme de l'humanité simple, tantôt sous le prisme du dogme religieux. Les personnages (pour la plupart indiens) qui entourent le Père Damien sont hauts en couleurs et de sacrés caractères.
Evidemment en filigrane, Louise Erdrich évoque les drames historiques : la spoliation des terres indiennes par le gouvernement blanc américain, la grippe espagnole, la déforestation, les conversions et les baptêmes souvent forcés des indiens, les dégâts de l'alcool dans les réserves. Mais il y a une large place pour les traditions et croyances indiennes ancestrales, ainsi que cette certaine et fameuse sagesse... Car dans ce roman, les indiens entre eux ne se comportent pas mieux que les blancs... Ils sont terriblement humains. Par contre, leurs visions du monde, de la nature et le respect de cette dernière font vraiment preuve d'une philosophie qu'il serait plus que temps que nous retrouvions.
Il y aurait tant à dire sur ce roman foisonnant, surprenant, captivant, drôle aussi par moment ! Impossible ici. Je pense que je garderai longtemps le personnage du Père Damien en mémoire. Même si cette lecture fut vraiment fatigante pour moi et qu'il me tardait de l'achever, j'en suis tout de même très contente. Je me sens vraiment enrichie d'une histoire exceptionnelle et j'ai fait un grand pas de plus dans les possibilités littéraires que le monde m'offre !
"Et je crois même aujourd'hui que le vide laissé par la disparition de la connaissance sacrée traditionnelle fut comblée, très simplement, par le facile réconfort de l'alcool. J'ai donc été forcé, au bout du compte, de nettoyer derrière les ravages de ce que j'avais aidé à détruire, père Jude. Voilà pourquoi je suis resté".
* Fantasmagorie : Présence dans une œuvre de motifs, thèmes fantastiques destinés à créer une atmosphère surnaturelle
** Baroque littéraire : Reprenant le caractère du maniérisme, ce courant privilégie l'émotion et le sensible à l'intellect ou au rationnel. Le baroque en littérature se centre sur l'effet et l'ostentation. Il offre des lieux communs représentatifs : mélanger les contraires (le réel et l'illusoire, le grotesque et le sublime, le mensonge et la vérité) ; développer l’imaginaire ; faire appel aux allégories ; exprimer les sentiments et les sensations ; retranscrire avec une abondance de détails couleurs, formes, saveurs et parfums. La mort est un thème central dans les œuvres baroques, intimement liées au domaine de l'évasion, de la mythologie et de la féerie. L'esthétique baroque revendique son exubérance, son foisonnement et sa surcharge ornementale. L'écriture est dominée par l'alambique rhétorique et la multiplication de figures de style comme la métaphore. Le recours à l'hyperbole et au néologisme est également notable. Jouant sur le motif des identités multiples, le théâtre et le roman mettent en scène des personnages polyvalents, doubles et mystérieux « portant un masque ».