L'AUTRE FILLE, d'Annie ERNAUX
Publié le 28 Novembre 2012
Roman - Nils Editions - 77 pages - 7 €
Parution en mars 2011
L'histoire : Ma mère raconte qu'ils ont eu une autre petite fille que moi, morte de la diphéterie. Elle est morte comme une petit sainte. Elle dit de moi, elle ne sait rien, on n'a pas voulu l'attrister. Elle était plus gentille que celle là. Celle là, c'est moi. Cette confession, Annie Ernaux a 10 ans quand elle l'entend, sans que personne ne le sache. Cette révélation restera enfouie, jamais évoquée. Aujourd'hui, Annie Ernaux écrit à cette soeur qu'elle n'a jamais connue.
Quand tout a été dit sans qu'il soit possible de tourner la page, écrire à l'autre devient la seule issue. Ecrire une lettre, une seule, c'est s'offrir le point final, s'affranchir d'une veille histoire.
La collection "les affranchis"fait donc cette demande à ses auteurs :" Ecrivez la lettre que vous n'avez jamais écrite"
tentation : La blogo + passage de l'auteur à La Grande Librairie
Fournisseur : La bib'
Mon humble avis : Ce texte court mais si riche se lit d'une traite, avec une émotion qui ébranle fortement.
Annie Ernaux a 10 ans quand elle surprend une conversation d'adulte. Cette conversation lui apprend qu'elle n'est pas fille unique, qu'elle a eu une soeur, morte à 6 ans, avant sa propre naissance. C'est à cette soeur qu'Annie Ernaud s'adresse dans cette lettre aussi pudique, qu'intime et et même temps, extrêmement sincère. Une lettre servie par une plume forte, touchante, délicate et ... épistolaire. Certains passages m'ont glacée, surtout quand "L'autre" est désignée. C'est terrible.
Quelques descriptions et voyages temporels m'ont un peu perdue mais peu importe, j'étais accrochée aux sensations d'Annie Ernaux et aux questions qu'elle pose dans cette lettre. Certaines questions y trouvent leur réponse, d'autres restent en suspens, pour laisser à chacun le choix de la réponse qui lui correspond. Car il y a dans ce genre d'interrogation autant de solution qu'il y a de coeurs, d'âmes, de vies.
Mais comment qualifier un être que l'on a pas connu, qui pourtant a en commun avec soi les liens du sang. Comment se le représenter, comment éprouver des sentiments, et quels sont les sentiments adéquats. Comment vivre quand on remplace l'autre, comment vivre dans l'ombre de quelqu'un et surtout dans le silence du secret imposé, puis dans le secret que l'on a pas su, pas voulu percer. J'ai dans mon entourage des personnes qui ont perdu un premier enfant, et qui ont eu ensuite d'autres enfants (dont certains sont mes amies). Alors j'ai ouvert les yeux sur une problématique que je ne m'étais pas posée et qui je pense m'a enrichie.
Cette lettre magnifique me donnerait bien envie de prendre la plume et de m'adresser à celle ou celui qui aurait pu être avant moi... Son existence aurait rendu impossible la mienne. A moins que... Etais-je déjà, entière ou en partie, dans cet autre non éclos ?
Bon, je ne vais pas écrire un billet plus long que le livre, je vous laisse avec quelques extaits au cas où je n''aurais pas été assez convaincante sur la qualité de cette "autre fille". Et la collection "Les affranchis" est à suivre sans hésitation.
Et vous, à qui écririez vous cette lettre que vous n'avez jamais écrite ?
"Il a bien fallu que je me débrouille avec cette mystérieuse incohérence : toi, la bonne fille, la petite sainte, tu n'as pas été sauvée, moi, le démon, j'étais vivante. Plus que vivante, miraculée."
"Il me semble que le silence nous arrangeait, eux et moi. Il me protégeait. Il m'évitait le poids de la vénération qui entourait certains enfants décédés avec une cruauté inconsciente pour les vivants qui me révoltait quand j'en étais témoin."
"je ne leur reproche rien. les parents d'un enfant mort ne savent pas ce que leur douleur fait à celui qui est vivant."
"A mon enfance racontée, pleine d'anecdoctes, ne correspondent pour la tienne que le vide"
"Técrire, ce n'est rien d'autre que faire le tour de ton absence. Décrire l'héritage d''absence. Tu es une forme vide impossible à remplir d'écriture".