L'HOMME-AU-BATON, d'Ernest PEPIN
Publié le 29 Juillet 2014
Roman - Editions Folio - 188 pages - 6.20 €
Parution en poche en 1997
L'histoire : Dans une Guadeloupe tourmentée par le chaos de sa diversité ethnique, sociale et culturelle, au temps des rues obscures les rumeurs devenaient des réalités.Un jour, la rumeur annonça «l'Homme-au-Bâton». Personnage mystérieux, sans visage, sans nom, qui défraya la chronique de nos jours immobiles en nous faisant glisser sous l'écale de la peur. Partout à la fois, aux quatre coins de notre poussière d'île, invisible et sinistrement présent, il perforait nos femmes en laissant derrière lui un sillage de parole et une kyrielle d'enfants.Dès lors nos imaginaires, riches de toutes les peurs (peur du nègre marron, peur du cyclone, peur de la Soufrière, etc.), inventèrent les parades les plus cocasses.
Tentation : Le pitch
Fournisseur : Ma PAL, achat en Guadeloupe l'an dernier.
Mon humble avis : Dépaysement garanti avec cet Homme-Au-Bâton. Si vous voulez une plongée dans le coeur de la guadeloupe et de l'identité créole, ce livre vous tend les bras et répondra à toutes vos attentes.
Au commencement, il y a une jeune créole de bonne famille qui se retrouve mystérieusement enceinte. Elle dénonce l'homme-au-bâton, qui serait venu la cueillir pendant son sommeil. La rumeur enfle, enflamme toute l'île, surtout que d'autres cas plus tragique encore se font connaitre. Dès lors, c'est la panique sur l'île, l'enquête, les croyances, les médisanes, la sorcellerie, les moeurs, tout s'en trouvera transformé jusqu'à l'émeute. L'imaginaire collectif est bien en route, et des commerçants font même fortune avec des parades contre cet homme-au-bâton.
Ce roman est dans la pure tradition littéraire créole. D'ailleurs, expressions créoles francisées ou non (dans ce cas, traduite en bas de page à l'aide d'un *) fleurissent un chaque page et donnent un charme indéniable à cette histoire. Ces expressions francisées sont en fait le fruit du contact de deux langues, le Français et le créole. La Guadeloupe est disglossique, c'est à dire que 2 langues y sont parlées. Et la littérature créole ne veut que légitimer et réabilité cette langue, afin qu'elle ne soit plus uniquement considérée comme le patois de l'esclavage.
Cette histoire qui est un mythe, une légende, une croyance qui permet à Ernest Pépin d'aborder moult sujets qui lui tiennent à coeur, tant dans la forme que dans le fond.
L'homme-au-Baton est donc clairement inscrit dans un mouvement littéraire pour lutter contre l'assimilation et l'aliénation de la culture créole par la culture métropolitaine. L'histoire s'inspire d'un fait divers de 1956. Ernest Pépin brosse ainsi le portrait de la société Guadeloupéenne des années 60 aux années 90, avec l'essort d'un tourisme canadien à visée purement sexuelles et les conséquences sociétales et comportementales en Guadeloupe de ces charters aux motivations particulières. Les rapports entre le D.O.M et la métropole sont étudiés, comme la réputation de la France et de Paris auprès de certains Antillais qui n'ont jamais quitté leur village. L'histoire tourne beaucoup autour des moeurs locales, très libertines. Les réputations qui se font et se défont en fonction de vos prouesses sexuelles, de vos nombres d'amants ou de maitresses etc.
Dans la tradition Guadeloupéenne, L'homme-au-Bâton est nommé Dorlis, un démon masculin qui visite les femmes pendant leur sommeil et satisfait leur désir.
Sous des aspects divertissants, avec un humour non négligeable, ce roman est donc un écrit réellement culturel qui permet une immersion totale dans la culture et la société créole. C'est une lecture que l'on pourrait qualifier d'ethnologique. Et, si j'ai moi même passé près de 3 ans en Guadeloupe, j'ai appris nombre de choses (palpables ou non), car quoi qu'il en soit, malgré mes envies profondes de m'intégrer, je suis toujours restée "une métro".
J'ai eu juste à déplorer quelques longueurs et une fin qui ne convient pas forcément à la relative cartésienne que je suis. Mais je vous invite chaleureusement à vous plonger dans cette créolité.