MEURSAULT, CONTRE ENQUÊTE, de Kamel DAOUD
Publié le 14 Mars 2019

Roman - Editions Babel - 152 pages - 6.80 €
Parution d'origine chez Acte Sud en mai 2014
L'histoire : En 1942, à 14h00 sur une plage d'Alger, "L'arabe" était assassiné par Meursault. Cet arabe, mondialement connu, n'a jamais eu de prénom. Il a toujours était juste "l"arabe". En tout cas, Albert Camus ne lui en n'a pas donné dans son roman l'étranger. Soixante dix ans plus tard, Haroun, le frère de l'Arabe, révèle son prénom et son histoire...
Tentation : Le pitch + curiosité
Fournisseur : CB puis PAL

Mon humble avis : Cette lecture fut assez ardue pour moi. Elle nécessite une certaine concentration et sans doute, une bonne connaissance du roman de Camus, "L'étranger". Hélas pour moi, ma lecture de ce dernier remonte déjà à quelques années et ma mémoire n'en a gardé qu'un souvenir flou... Aussi, j'ai parfois peiné, d'autant que j'ai perçu quelques longueurs et il m'a fallu quelque temps pour venir à bout de ces 152 pages, mais qui en valent bien la peine !
Car ce roman est une véritable prouesse littéraire, un exercice de style d'une audace rarement atteinte, d'une originalité irréfutable !
Kamel Daoud donne une vie et un nom à "l'arabe", de "L'étranger" de Camus. D'un personnage anonyme de fiction, il fait un personnage central d'un autre roman, même si ce personnage est défunt. Même si le crime de Meursault se déroule en 1942, que l'action du roman de Daoud se poursuit jusqu'en 1963 et plus tard encore, cette histoire est atemporelle... Elle est celle de toute ces victimes anonymes, victimes de guerres ou de faits divers, qui aux yeux du monde, ne seront jamais plus qu'une victime sans nom, comme l'arabe. Kamel Daoud donne donc prénom à l'Arabe : Moussa. ll lui rend ainsi son identité, ainsi qu'une famille, une vie... Une vie avant... Et les conséquences de la mort de Moussa sur la famille ensuite. Daoud rend ainsi hommage à toutes les victimes qui provoquent moins d'intérêt collectif que leurs assassins qui sont disséqués sous toutes les coutures.
Et puis, dans ce livre, au fil des années, il y a la guerre d'indépendance de l'Algérie, puis la liesse de cette indépendance acquise, et l'évolution des mentalités et des droits en Algérie, avec une religion de plus en plus vigoureuse. Des réflexions très intéressantes sur la mort et l'acte de donner la mort, sur l'identité dans le multiculturel
Tout au long de ce roman, nous retrouvons Haroun dans un bar, et Haroun compte son histoire, la sienne, avec l'ombre et le poids du mort Moussa, et de la mère à moitié morte depuis 1942. Daoud laisse comme planer un mystère, que chacun résoudra suivant sa propre perception, sa propre sensibilité... Je ne pense pas qu'il existe de réponse claire et nette, malgré ce qu'en disent certaines critiques. A qui s'adresse Haroun ? A un étudiant thésard, à un journaliste, à lui-même, à l'ombre de Camus, ou à chacun des lecteurs qui plongent dans ses pages et l'écoutent ?
A noter que "Meursault, contre-enquête" a reçu le prix Goncourt du premier roman.
" La religion pour moi est un transport collectif que je ne prends pas. J'aime aller vers ce Dieu à pied s'il le faut, mais pas en voyage organisé."
"Un certain goût pour la paresse s'installe chez le meurtrier impuni. Mais quelque chose d'irréparable aussi : le crime compromet pour toujours l'amour et la possibilité d'aimer. J'ai tué et, depuis, la vie n'est plus sacrée à mes yeux"
