IVOIRE, de Niels LABUZAN
Publié le 28 Mars 2020
Roman - Editions JC Lattès - 349 pages - 18 €
Parution en janvier 2019
L'histoire : Au Botswana, dans le delta de l'Okavango, Erin (Européenne) dirige une concession (réserve) privée. Avec Bojosi son bras, (ancien braconnier), elle protège et surveille ainsi la faune locale et sauvage d'une main de fer. Mais dans son idéal, ce n'est pas assez. Elle veut participer pleinement à la compréhension du fonctionnement du trafic d'ivoire, à tous les stades, et remonter jusqu'à la source : le consommateur, l'acheteur, le client. Aussi, avec le soutien du ministère de la faune sauvage du Botswana, elle se lance dans un projet aussi fou que dangereux : à Paris, deux fausses défenses, dont la contrefaçon est indécelable. Au coeur de ses défenses, une puce électronique. Une fois ces deux défenses intégrées dans le réseau des braconniers, Erin suivra leur chemin... Même si c'est un chemin sans foi ni loi, qui mène à un milieu d'une violence extrême.
Tentation : Le sujet
Fournisseur : Bib N°1
Une immersion dans le monde du trafic d'ivoire.
Mon humble avis : Quand un livre nous fait de l'oeil deux fois de suite à la bib', on se dit : je prends, tant pis pour ma PAL. Surtout que le sujet et le lieu de l'intrigue répondent à mon intérêt particulier qui dure depuis un an : période pré et post voyage en Afrique du Sud.
Cette lecture fut émotionnellement très dure pour moi. En effet, Niels Labuzan nous propose une immersion sans filtre au coeur des réseaux de braconnage, du trafic d'animaux sauvages, et principalement celui des défenses d'éléphants, de l'ivoire. Le lecteur n'est pas épargné, tant dans la description révoltante de certains charniers de plusieurs centaines de bêtes, que dans la violence humaine qui règne dans ce type de réseau. La prise de conscience n'est pas nouvelle pour moi, mais son ampleur, si. Ces si nombreuses ramifications sont ahurissantes et les chiffres donnés par l'auteur, qui s'élèvent à plusieurs centaines de tonnes de défenses agissent comme des électrochocs. Ce roman est extrêmement documenté. D'ailleurs, le sujet n'est mis sous forme de roman que pour toucher le plus grand nombre et immerger le lecteur. Un roman permet de dire parfois bien plus qu'un essai ou un documentaire. En lisant Ivoire, on se rend bien compte des différentes façons de penser des protagonistes sur place, que ce soit dans les défenseurs ou les tueurs d'animaux. Cela apporte donc une "humanité". Et quand il y a hommes, il y a complexités, différences culturelles, sociales, financières. Il y a vie dans l'opulence et extrême pauvreté. Ainsi, lorsqu'on lit ce roman, on se trouve presque obligée à plus d'indulgence envers le petit braconnier au fond de sa savane (cela ne veut pas dire que l'on excuse ou encense, loin de là), mais on réalise la complexité de la situation. Le petit braconnier n'a aucune conscience de la situation dramatique de certaines espèces animales, et il ne pense qu'à ce soir. Là où les défenseurs, les institutions internationales de protection et nous autres, européens dans nos canapés à regarder des reportages télés, pensons à l'avenir, dans 10 ans, dans 20 ans.
Dans ce réseau d'exploitation animale, chaque niveau ignore ce qu'il adviendra des défenses qu'il fournit, chaque niveau ignore d'où proviennent les défenses qu'il transporte. Ce sont des véritables mafias qui règnent par la terreur sur leur sujet. Et bien sûr, à quasi chaque niveau (depuis certains rangers sous payés), jusqu'aux Etats (pas forcément directement concernés hein !), en passant par les douanes, les transports maritimes ou aériens, j'en passe et des meilleurs, il y a de la corruption.
Tout cela pour que des chinois puissent soi-disant perpétrer leur culture, à savoir posséder une défense sculptée chez eux, ou d'autres objets fabriqués avec d'ivoire... Et à savoir que nombre de ses chinois ignorent même que la défense provient d'un animal tué juste pour celle-ci, certains ne sachant même pas que les défenses ne tombent pas seules, qu'elles ne poussent pas dans la terre, ou qu'elles ne sont pas le fruit d'un arbre. C'est un commerce particulier, en constante mutation... où c'est la demande qui fait l'offre, et non le contraire. Bref, tout cela est à pleurer. Et de là où je suis, je me trouve bien impuissante.
A savoir que l'Europe et les institutions internationales de protection des animaux sauvages ne sont pas en reste au niveau de l'hypocrisie et/ou de l'ignorance. Par exemple, dans la liste noire des pays braconniers, le Soudan ne figure pas, car il ne possède pas d'éléphant sur son territoire. Alors qu'il est une véritable plaque tournante du trafic d'ivoire. Par contre, dans cette protection et le combat contre le braconnage, le Botswana fait figure d'image.
J'ai eu parfois un peu de mal avec le style de l'auteur qui m'a semblé un peu irrégulier. Des pages et des pages se lisent toutes seules d'une écriture agréable et fluide, quand d'autres hachées, avec une ponctuation qui m'a parue aléatoire ou maladroite, des phrases qui n'en sont pas, sans verbe, sans fin, sans début. Trop implicite pour moi.
Il n'empêche que ce roman glaçant, éprouvant émotionnellement est vraiment à lire pour comprendre la complexité de ce commerce, qu'il soit licite ou illicite, et surtout saisir son étendue (géographique), son amplitude (dans le nombre effroyable d'animaux concernés) et ses conséquences : extinction prochaine de certaines espèces et mutation de quelque une... Et oui, vous l'ignoriez souvent mais les éléphants ont des défenses de moins en moins grandes... Pourquoi, la réponse est dans ce roman incontournable, même s'il vous bouscule. Car ici ce ne sont que les personnages qui sont fictifs (mais sans doutes inspirés de personnes existantes), tout le reste est hélas bien réel.
"Elle en a peut-être trop fait. Incapable de se rendre compte du moment où il faut accepter de perdre. Le tout est de bien choisir son engagement, et de prendre conscience de ses propres limites, elle a cru qu'elle n'en n'avait pas... Elle n'a pas suffisamment écouté." (Pensée d'Erin)