VOYAGE AUX ILES DE LA DESOLATION, BD d'Emmanuel LEPAGE
Publié le 23 Octobre 2024
BD - Editions Futuropolis - 160 pages - 26 €
Parution en Mars 2011
Mon pitch : En mars 2010, le bédéiste Emmanuel Lepage est accepté à bord du Marion Dufresne... Ce célèbre bateau part quelques fois par an depuis St Denis de la Réunion pour réapprovisionner les TAAF : Terres Australes et Antarctiques Françaises. Entre carnet de voyage et reportage, cette bande dessinée est le récit de cette épopée jusqu'à Crozet, les iles Kerguelen, les îles Saint Paul et Amsterdam. Des lieux aussi pittoresques que désolés. Des flots tumultueux, des vents cinglants qui décident ou non de la réalisation des manoeuvres de débarquements... Et surtout et aussi, des hommes et des femmes, rencontrés à bord ou sur ces terres isolées.
Tentation : Sujet + auteur + challenge book trip en mer
Fournisseur : Achat à la braderie de la médiathèque de St Lunaire
Mon humble avis : Cette BD est sortie en 2011, et ce n'est que depuis une année que je louche dessus. Comment un tel chef d'oeuvre a pu m'échapper si longtemps ?
On se régale vraiment au fil des pages et sur chacune d'elles. Les dessins sont somptueux le plus souvent, parfois restés au stade de croquis améliorés, parfois en couleurs, ou en noir et blanc (le tout, avec des matériaux variés...) Voire même dans des teintes sépias quand la grande Histoire est évoquée. On est sur le Marion Dufresne avec Emmanuel Lepage, avec son frère photographe, avec deux réalisateurs et quelques touristes payants acceptés à bord. On est tellement sur le bateau que le mal de mer peut nous saisir, en tous cas, on le sent : par moment les dessins penchent !!!
Tout y est parfaitement bien rendu... La mer qui, de bleu turquoise, devient noire dans les eaux australes. Le vent, les tempêtes, les embruns... les côtes qui apparaissent... Les oiseaux marins, les manchots, les pétrels, les albatros, les lions de mer, les otaries... Et quelques cabanons... Les scientifiques qui vivent là sur plusieurs mois. D'ailleurs, ce trajet du Dufresne est aussi pour assurer la relève des "hivernants". Une communauté se crée sur le bateau, une communauté aux origines variées, mais avec beaucoup de mots qui se terminent en "ogue" !!! Ornithologues, météorologues, géologues etc...
Sur les îles, il en est de même, ce sont de véritables communautés qui se créent au fils des mois, rythmées par des rituels, qui possèdent leur propre langage (à force d'acronymes ou de diminutifs). On ne peut être qu'admiratifs devant ces hommes et femmes de tant de savoir qui vivent si longtemps dans des conditions si peu humaine, si loin de tout, avec si peu... parce que c'est leur métier, ou leur passion... ou les deux. Et que dire de ces marins qui naviguent sans cesse dans ces quarantièmes rugissants, qui débarquent du matériel par tonnes malgré des flots déchaînés, de ces pilotes d'hélicoptère qui transportent des containers malgré des vents qui seraient qualifiés de grosses tempêtes en Bretagne. Admiration... Depuis notre petite métropole, on est loin d'imaginer tout ce qui se déroule dans ces petits bouts de France au coeur de cette immensité liquide.
On apprend beaucoup sur ces iles, leur passé, leur présent, leur avenir... Elles sont désormais dans la plus grande réserve naturelle de France, très protégées. Désormais, tous les déchets sont rapatriés à la Réunion, au fil des voyages, le Marion Dufresne ramène aussi ceux de ces dernières décennies. Le gros problème qui se pose, pour préserver la biodiversité locale déjà bien abîmée par l'intervention humaine, ce sont les espèces animales et/ou végétale qui y ont été importées au 19ème et au 20ème siècle (comme le lapin, le rat, les vaches, les moutons). Désormais, il est impossible pour les hommes vivant là-bas de cultiver quoique ce soit, sous peine d'importer des insectes qui ne sont pas endémiques. Il y a aussi la fonte des glaciers, particulièrement remarquable là-bas.
En plus de tout cela, cet album est une magnifique galerie de portraits d'hommes et de femmes, des spécialistes, des scientifiques, des marins, des capitaines, des politiques, des journalistes. Et surtout, les portraits de ces gens qui vivent au part, sur des petits bouts de bout du monde. Et là, me vient l'indémodable chanson de Voulzy : Et c'est l'eau c'est l'eau qui vous sépare, et vous laisse à part.
Un album enrichissant, passionnant et magistralement réalisé !
20 points + 1 : 21 points, toujours "Second maître".