JOUR DE RESSAC, de Maylis de KERANGAL
Publié le 25 Octobre 2024
Roman - Editions Verticales - 256 pages - 21 €
Parution le 15 août 2024 : Rentrée littéraire
Mon pitch : Parisienne, la narratrice reçoit un appel de la police du Havre... "Une affaire la concernant"... Le corps sans vie d'un homme non identifié a été trouvé sur la plage. Dans sa poche, un billet de cinéma avec son numéro de téléphone écrit dessus...,
Le lendemain, la voici dans le train en direction de la ville de son enfance, de sa jeunesse. Elle ne reconnaît pas l'homme qu'on lui montre sur les photos. Au lieu de rentrer sur Paris, la voici qui erre dans le Havre. A la recherche d'indices, elle retrouve son passé.
Tentation : Le pitch
Fournisseur : Bib de St Lunaire
Mon humble avis : J'appréhendais un peu de me confronter au style de Maylis de Kerangal, que tout le monde dit particulier, et que je n'avais approché qu'avec ce très court roman : Un chemin de tables. Je n'avais rien noté de "particulier" alors. Mais avec "jour de ressac", cette spécificité m'a sauté aux yeux. Des phrases longues, pas d'alinéa pour les dialogues inclus tels quels dans les paragraphes etc. Comme si l'autrice rédigeait son texte au kilomètre. Et pourtant, j'ai adhéré de suite à cette plume qui m'a embarquée dans ce rythme, comme en apnée. Donc j'ai aimé cet aspect-là, assez inédit pour moi.
Mais j'ai aussi aimé ce roman qui pourrait déstabiliser. Son entrée en matière fait croire à une enquête policière... Et bien non. C'est une déambulation dans les rues du Havre, sur l'une de ses plages, sa digue... Et aussi et surtout, une déambulation dans les souvenirs normands de la narratrice. Il se passe grand-chose, et pourtant le flot des mots, des émotions, des réminiscences nous porte... nous parle, nous murmure, nous émeut, nous indigne. L'histoire en elle-même est vraiment secondaire, un prétexte en quelque sorte pour évoquer le Havre, ville natale de l'autrice. Il fait froid, il pleut, il vente, la ville est plutôt laide, rebâtie après la seconde guerre mondiale. Une ville dont on ne rêve pas, dont le port est gangréné par le trafic international de drogue, et pourtant, Maylis de Kerangal nous donne envie d'y aller. Il y est question des nombreuses couches qui la composent, au sens propre comme au sens figuré... Car dans son errance, elle se rappelle la préparation d'un exposé au lycée, avec sa bonne amie. Le sujet : le Havre pendant la guerre. Exposé qui les fit rencontrer une vielle dame qui témoigna de sa vie avant, pendant et après le pilonnage de la ville par les alliés. Le Havre, ville sacrifiée... (Je vous conseille, sur ce sujet le bouleversant roman Par Amour, de Valérie Tong Cuong)
J'ai beaucoup aimé les rencontres que la narratrice fait ce jour-là... Une caissière de cinéma, un homme chargé de nettoyer la plage avec son tractopelle, la soeur de son ancienne meilleure amie, deux jeunes réfugiées ukrainiennes en attente d'un visa pour l'Angleterre. Ce genre de rencontres qui peuvent paraître anecdotiques, mais qui, quand elles m'arrivent, me "font ma journée" et me marquent.
J'ai suivi cette femme tout au long de sa journée, je l'ai écoutée, j'ai partagé ses émotions, ses interrogations, et je me suis imaginée... moi, déambulant à Lille, ma ville d'origine, à la rencontre de mes souvenirs enfouis ou vivaces, me confrontant aux transformations de la cité... Il y a ce qui est immuable, et ce qui change constamment. Il y a le présent et ce que nous avons quitté par choix sans regret. Et parfois, il y a des jours de ressac, ou sans que vous y attendiez, votre passé vous revient brutalement en tête et vous happe.
J'ai beaucoup aimé ce roman qui m'a enveloppée, qui me pressait d'en finir avec les contingences quotidiennes et matérielles pour le retrouver au plus vite, sans que je puisse définir vraiment pourquoi. Un roman vraiment étonnant, qui, comme des souvenirs, peut vous prendre par surprise.