LE REMPLACANT, d'Agnès DESARTHE
Publié le 6 Septembre 2012
Roman - Editions Points - 75 pages - 4.60 €
Parution chez Points en août 2010
aux Editions de l'Olivier en avril 2009
L'histoire : L'auteur évoque Bousia, son grand père, qui n'est en fait pas son grand père, mais le remplaçant. Le remplacement du grand père biologique qui n'est pas revenu des camps de concentrations. Ce grand père de remplacement, c'est le seul qu'elle ait connu. C'était aussi un conteur d'histoire...
Tentation : Curiosité
Fournisseur : la bib
Mon humble avis :A l'heure où je rédige ce billet, j'ignore encore quand je le publierai. Mais ce livre est pour moi une façon de préparer "ma" rentrée littéraire. Un nouveau roman de l'auteure est attendue lors de cette rentrée, une conférence est déjà annoncée à Rennes et je ne connais rien d'Agnès Désarthe. Lacune réparée !
J'ai adoré ce livre que j'ai dévoré ! Vous me direz "facile", il ne dépasse pas les 75 pages. Certes, mais tout de même... Et cependant, je ne parviens pas à en faire un coup de coeur car deux petites choses m'ont dérangée, alors autant les évoquer immédiatement pour susciter ensuite votre envie en citant les qualités indéniables de cet écrit...
Agnès Désarthe parle de ce grand père de remplacement comme d'un conteur... Dommage que c'est aspect là ne soit pas plus développé, il aurait permis alors un texte plus long et sans doute moins frustrant, plus envoûtant.
L'auteure avoue qu'à l'origine, le personnage central de ce livre ne devait pas être ce grand père remplaçant mais "Janusz Korczak(1878-1942), écrivain, médecin et grand éducateur polonais" et aussi père remplaçant auprès des orphelins du ghetto juif de Varsovie pendant la 2ème Guerre Mondiale. Quelque part, l'auteure semble presque avouer un échec de plume en proposant finalement deux portraits d'hommes (au parallèle évident) mais qui me semblent du coup incomplets. Pourquoi un texte si court avec de tels hommes comme héros ? Et la "pirouette" qui introduit alors Janusz Korczak m'a paru comme... Comment dire... Comme si l'auteure n'avait pas assez de matière sur chacun des deux hommes pourtant exceptionnels et romanesques pour compléter son oeuvre. Je précise qu'il s'agit ici vraiment d'un ressenti personnel qui plus est pas très clair. Quoique, ça y'est, j'ai trouvé. J'ai eu l'impression que ce livre ne suivait aucune construction et ne choisissait pas vraiment son genre.
A part cela... L'écriture d'Agnès Désarthe se déguste. Le remplaçant est un hommage à Bouz, ou Boris, le 2ème mari de sa grand mère que certains trouvent médiocre mais que la jeune Agnès, puis l'adulte, adule. Car il se révèle un excellent papi, drôle et conteur entre autre. J'ai aimé le regard et les questions d'enfant de l'auteure sur l'histoire familiale, intimement liée à la religion juive, à l'émigration, à l'exil, à la persécution, aux disparitions, aux silences, aux secrets. Je me suis retrouvée notamment dans ces questionnements géographiques qui m'ont bien amusée lorsqu'il est question, dans la famille, des origines russes, roumaines, polonaise, moldave, de bessarabie... que l'enfant à du mal à différencier et à situer sur une carte (idem pour moi quand je suis confrontée à ces régions lors de mes lectures !) La bessarabie.... Des russes qui seraient devenu arabes et juifs ! Agnès Désarthe distille beaucoup d'humour dans son texte qui n'est pas juste amour, tendresse pour un homme qui a fait sienne une famille qui ne l'était pas. Le sujet des filiations biologiques, affectives ou administratives est abordé de façon passionnante et touchante. Je l'ai en tout cas vu d'une manière qui ne m'avait jamais effleurée. Agnès Desarthe parle aussi de la douleur (que je connais) de ne pas être mère, d'être une mère sans enfant. Les souvenirs d'enfance de l'auteur, les visites chez les grands parents, l'attention portée sur certains objets et habitudes m'ont touchée et remémoré les miens. Surtout qu'à quelques années près, nos souvenirs remontent à la même époque. Enfin, le rapport de l'auteure à l'écriture et avec ses personnages fait bien sûr son apparition. Le tout, je le redis, avec une écriture élégante et sensible qui sait se partager entre émotion et malice. Une très très belle lecture si l'on attend pas un vrai roman... dont voici quelques extraits
" C'était cela la vraie douleur : être une mère sans enfants, un écrivain sans livres, un chanteur sans voix, un conteur sans histoire. Avoir le désir et l'envergure, l'ambition et les dispositions nécessaires, mais échouer malgré tout, par manque d'initiative, de chance, ou encore par hasard".
"Certains objets sont voués à nous échapper, à nous manquer, d'autres les remplacent. On veut écrire un livre et c'est un autre qui vient. On croit inventer un héros et il a la tête de notre voisin de palier. J'écris toujours l'histoire d'à côté, jamais celle que j'avais prévue"
"Bousia a fait office de grand-père pour des petits enfants qui n'étaient pas les siens, Janusz Korckzak a servi de substitut parental a des milliers d'orphelins. Ils furent tout deux des remplaçants. Je ne parviens toujours pas à cerner ce qui me touche dans ce statut. Le dévouement. La gratuité."
"Mais quand on ne les a pas mis au monde, qu'on est soit même un père ou une mère sans enfants et qu'on choisit néanmoins de les cotoyer, que se passe-t-il ?
On les regarde, délivré de l'obsession de se reconnaître ou pas en eux. On les observe, et on apprend."