LES MOUSTACHES DU CHAT, de Sayouba TRAORE
Publié le 29 Septembre 2011
Roman - Editions Vents d'Ailleurs - 190 pages - 16 €
Parution en mars 2007
L'histoire : Celle de Gara, teinturier et spécialiste du temps, dans un village reculé du Burkina Faso. Il n'a pas de père, ne peut donc pas prendre d'épouse, est toujours à part dans le village. Survient des évènements, puis une guerre et l'exil....
Une bonne vingtaine d'années plus tard, nous retrouvons sa fille, dans la capitale. Elle est "inépousable" selon la tradition, à cause des origines inconnues de son père....
Didier est amoureux et contournera, à sa façon, tabous et traditions pour aimer Marguerite. Oui, pour ça, il est prêt à tout...
Tentation : L'auteur + Gambadou au salon de Rennes
Fournisseur : MA CB au salon de Rennes
Mon humble avis : "On" m'a dit que je ne lisais pas beaucoup de littérature étrangère hormis celle anglosaxone.... Voilà l'exception qui confirme la règle, où la preuve qu'il suffit d'être patient(e!) Car ce roman, écrit par un burkinabé (donc du Burkina Faso, État du centre ouest de l'afrique)se déroule au Burkina Faso également. Au début, au fin fond de la brousse, dans un bled et à la capitale, dans la deuxième partie. Donc littérature 100% burkinabé (euh, est-ce bien comme ça qu'on dit ?)
Tout voyage nécessite un temps d'adaptation et ce livre est sans conteste une invitation à l'ailleurs, un ailleurs qui pourrait être intemporel, voire presque encore plus loin que là-bas, dans un pays presque imaginaire, tant les premières pages de ce roman ressemblent à un conte. Il m'a fallu du temps pour m'adapter à cet environnement si dépaysant, si inhabituel. Le temps.... Situer les personnages tant dans l'histoire que dans leur position hiérarchique au village. Ne pas les confondre... Et puis l'histoire a commencé et je me suis régalée.
Sous un soleil de plomb, assise dans le parc en bas de chez moi, j'étais au coeur d'une Afrique que je ne connaîtrais sans doute jamais. Une Afrique aux traditions ancestrales, l'Afrique des griots, l'Afrique où le village a un roi et des ministres, où il faut respecter les règles, où l'on se salue suivant un protocole interminable, où l'on veille à respecter son aîné dans la parole comme dans les gestes.L'Afrique où les coutumes assurent l'équilibre social. L'Afrique et l'art de la rhétorique, où finalement, rien n'est dit par hasard. Tout est dans la maîtrise de la parole.... Obtenir tout en ayant l'air de recevoir. Donner à l'autre l'impression d'être grand, intelligent.... quand celui ci est juste venu là où vous l'avez conduit à son insu par votre brillant discourt. C'est cette Afrique là que Sayouba Traoré nous raconte, celle où la famille vient de la mère et le clan vient du père.... Celle où l'on fait la guerre au village qui se trouve de l'autre côté de la rivière. Et de cette immersion dans cette Afrique atemporelle, on se délecte.
Et puis, il y a une deuxième partie, un bon dans le temps et dans l'espace. Nous voici en ville, avec la génération suivante. Il y a alors dans ce roman comme une ambiance "Aya de Yopougon". D'ailleurs, les bons dictons africains ne manquent pas.
On découvre avec intérêt et attendrissement la tradition du naam, où un jeune garçon se voit déclaré "enfant roi" de son quartier (ce qui ne veut pas dire enfant gâté!)... Pendant un an, il devra se comporter comme un adulte, sous la surveillance de ses parents justement. Mais on voit là un bel apprentissage des responsabilités auprès de la jeunesse.....
Et puis il y a le quatrième quart de cette histoire, et là, l'auteur m'a laissée sur le carreau. Tout y devient militaire, politique, manoeuvre, corruption du pouvoir... Bref, Sayouba Traoré nous emmène alors dans la plus contemporaine Afrique, celle des dictateurs et des push qui les menacent. Pour moi, le charme s'est rompu car le déroulement de tout cela manque réellement de clareté (peut-être pour être au plus proche de la réalité d'ailleurs), mais j'étais perdue.... Surtout sur les motivations de ces insurrections.... que j'ai trouvé vraiment trop romanesques (je sais, c'est le comble quand on lit un roman - genre, je ne sais pas ce que je veux !)
Malgré un début difficile et une fin déplaisante, je pense que ce livre ne manquent pas d'arguments. Culturellement et linguistiquement (très belle écriture), ce livre mérite vraiment votre intérêt.
"Quand le travail n'avance pas, on peut trouver deux explications. Soit l'artisan est incompétent. Soit les outils ne sont pas bons."
"Celui qui te conseille d'acheter un cheval ventru, celui là ne sera pas là quand il s'agira de le nourrir".
"On est en démocratie. On a donc le choix. S'exiler à l'intérieur de soi même ou quitter le pays".
"Le singe dit que le fruit qu'il ne peut atteindre est pourri".
"Il ne sert à rien d'agiter la langue quand la tête ne sait pas".
"Si la causerie était la preuve d'une mauvaise éducation, les hommes ne naîtraient pas avec une langue."