ENTRETIENS DE DESEMBAUCHE
Publié le 28 Septembre 2015
La dernière fois que j'avais évoqué ici ma vie professionnelle, c'était lors de mon licenciement économique, survenu voilà maintenant plus de deux ans. Je ne l'évoque pas beaucoup sur les réseaux sociaux, où la discrétion est la maitresse de toutes les vertus ! Mais voilà, j'en ai marre (et encore, ce mot est léger), et j'ai envie de parler (pour ne pas dire crier, voire hurler)
Ca fait un moment que ce billet me trotte dans la tête, il est temps qu'il en sorte ! Il faut évacuer ses rancoeurs pour ne pas pourrir de l'intérieur !
Ces derniers mois, j'ai eu l'occasion (jusqu'à maintenant, je n'arrive pas à dire la chance) de passer plusieurs entretiens d'embauche, qui pourraient être stimulants, mais qui sont décourageants (là encore, le mot est faible).
Pour rappel, je recherche un mi-temps. Ma RQTH( Reconnaissance Qualité Travailleur Handicapé, m'impose de ne travailler qu'entre 18 et 24 heures par semaines. Mon AVC m'a laissée (entre autre) une grande fatigabilité cérébrale. Je cherche un emploi simple, dans l'accueil, le standard, le secrétariat, l'assistanat, l'opération de saisie, la manutention...
Ce que je remarque, c'est que peu d'entreprises sont intéressées par ce statut particulier. Celles qui le sont, acceptent la RQTH pour la baisse des taxes, mais ne veulent pas du handicap qui va avec s'il faut un minimum d'aménagement (donc horaire pour moi). Votre handicap ne doit absolument pas affecter votre aptitude à tenir le poste comme les personnes "normales".
Qui plus est, il faut savoir qu'en 2013, notre cher gouvernement a pondu une loi supposée limiter la précarité. Je résume, mais dorénavant, les mi-temps ne peuvent être inférieurs à 24 heures par semaines, sauf sur demande expresse de l'employé. Pour pouvoir faire cette demande, et bien dans l'absolu, il faut déjà être en poste... 24 heures pour moi, c'est déjà beaucoup. Et puis avant, un employeur pouvait embaucher 2 mi-temps pour aboutir à une présence horaire de temps plein. Maintenant, 2 personnes, ça fait 48 heures, ce qui coûte beaucoup plus cher qu'un 35 ou 39 heures. Et une personne employée à 24 heures peut difficilement cumuler un autre mi-temps...
Ce qui me dégoute le plus, c'est le manque d'humanité, de politesse dans le processus, l'hypocrisie. On parle de ressources humaines. Cette expression, valable encore il y a 15 ans, et on ne peut plus usurpée maintenant. Il y a 15 ans, pour décrocher un poste d'employée (ce qui a toujours été mon cas), un entretien suffisait. Deux jours plus tard, on vous rappelait pour vous dire "désolé" ou "vous commencez dans deux jours" !).
Maintenant, c'est un véritable parcours du combattant, de plus en plus dépersonnalisé, même si votre interlocuteur utilise le ton nécessaire pour vous faire croire du contraire, temps qu'il pense pourvoir avoir "besoin" de vous.
En 2015, les candidatures se font sur internet. Terminées les lettres de motivations manuscrites que vous deviez recommencer maintes fois car, lors des formules de salutations, se glissait une méchante faute d'orthographe ou un gros gribouillis. On se dit, que de temps gagné ! Et bien pas forcément.
La candidature :
- Vous trouvez l'offre sur internet, via des sites spécialisés, sur lesquels vous vous êtes constitués des alertes. Alors, attention, certaines annonces peuvent être publiées sur différents sites, avec quelques différences dans le libellé... Certaines annonces ne sont pas supprimées si le poste est pourvu aussi.
- Par un clic, vous voilà sur le site de l'entreprise pour y laisser votre candidature. Il vous faut remplir toutes les cases (dates de naissance, diplômes et dates, précédentes expériences avec nom de l'entreprise, poste occupé, dates, compétences utilisées)... Puis vous ajoutez votre CV qui ne fait que reprendre ce que vous venez d'écrire en remplissant les cases. Puis vous rédigez votre lettre de motivation. Puis vous cliquez sur Enter ! Et vous attendez...
- Quand tout va bien, vous recevez un mail générique qui vous annonce que votre candidature a bien été reçue, qu'elle sera traitée dans les plus brefs délais et que sans nouvelles d'ici 3 semaines, et bien... merci d'avoir joué, relancez le dé.
- Quand tout va mal, pas de réponse.
- Et quand c'est la fête, votre portable sonne. Entretien !!!!
L'entretien :
Arrivé sur place, vous remplissez de nouveau un dossier de candidature, où il faut encore remplir les cases que vous avez rempli quelques semaines plus tôt sur internet ! Vous répétez encore votre motivation, au cas où elle aurait changé depuis votre candidature internet...
Bref, j'ai l'impression d'être en garde à vue pendant tout ce processus. Déjà, on m'a fait comprendre que je suis présumée coupable de n'avoir pas ou peu travaillé depuis 2 ans (un petit CDD et 2 stages. J'ai envie de répondre : vous regardez les infos de temps en temps ?
Et je suis aussi présumée coupable de ne pas avoir TOUTES les compétences requises, comme on décide pour moi à l'avance que je ne saurais pas apprendre telle ou telle chose dans l'entreprise.
Oui, comme dans une garde à vue, on nous fait répéter et répéter encore, on nous presse comme un citron, comme si l'on attendait qu'on se contredise, comme s'il l'on attendait qu'on finisse par avouer notre inaptitude à tenir le poste. Et d'ailleurs, à force, on finit par douter de nous-même alors qu'on arrive ultra motivé et prêt à déplacer des montagnes !
Travaux pratiques...
- Entretien pour être préparatrice de commande en verres optiques... Recrutement effectuée par une boite d'intérim. Le poste est à Rennes, au bout de ma rue. On me demande si je ne vais pas m'ennuyer dans ce type de poste, après mes années passées chez Nouvelles Frontières. Je réponds que si je suis occupée, je ne m'ennuie pas ! Et que ma vie personnelle m'offre mille et une activités pour m'épanouir culturellement. "On vous rappelle". On ne m'a jamais rappelée, malgré mes multiples relances téléphoniques ou mails. 2 mois plus tard, je revois la même annonce.
- Entretien pour être hôtesse d'accueil téléphonique. Mon profil est TRES intéressant, puisque j'ai travaillé 8 ans en centrale d'appels chez NF. On me rappelle après que j'ai rappelé. Et l'on me dit que l'entreprise a changé d'avis : elle n'a plus le temps de recruter et de former parce qu'elle est débordée...
- Entretien dans une boite de formation pour adulte, pour un poste d'assistante administrative. L'entretien se passe très bien, dans une atmosphère chaleureuse. Une semaine plus tard, je relance par téléphone. La personne avec qui j'avais passé une heure la semaine précédente ne se souvenait plus de moi au premier abord...
- Entretien dans une boite qui fait du tri de courrier à grande échelle, et de la saisie informatique. 80 embauches d'un seul coup ! Je passe ma matinée sur le site internet de la dite boite. L'entretien est donc collectif, nous sommes 80, et c'est en fait une présentation de l'entreprise... Durant laquelle je n'ai rien appris de plus que ce que le site ne m'ait pas appris le matin même. Rappel : Boulot à la chaine, payé au Smic. Lors de l'entretien, le DRH, en jeune cadre dynamique qu'il se veut, s'assoit de biais sur une table pour garder un oeil sur son public et l'autre sur son Power Point. Et là, je vous jure, j'ai cru que je postulais pour travailler à Wall Street : on m'a parlé de "cut off", "d'out sourcing", de "Cloud Computing" de "back up", de "Business Process", de "Workflow", de solution "Outsourcées" etc. Pauvre langue française bien absente, alors que dans l'offre, il était stipulé que le candidat devait bien maitrisé la langue française. J'avais autant envie de rire que de pleurer. Surtout quand notre jeune cadre dynamique a levé le bras pour demander si nous avions des questions et qu'alors, une énorme auréole est apparue sous son aisselle gauche ! Oui, j'ai une question : "Vous ne parlez que de temps complet, hors j'ai postulé pour un mi-temps." Réponse : Ah non, on ne prend pas de mi-temps, cela enlève la flexibilité demandée par le customer !". Vous n'allez pas me dire que sur 80 embauche, ils ne pouvaient pas embaucher 78 temps pleins et 2 mi-temps, histoire de participer à l'effort collectif qui est sensé veiller à l'intégration professionnelle de tous ? Ensuite, visite de l'entreprise. J'ai eu l'impression de visiter un atelier clandestin chinois. Sauf qu'il n'y avait pas de chinois et que nous n'étions pas en sous-sol.
- Enfin, the last but not the least. Un CDD de 6 mois dans une filiale d'une grande banque. Poste là aussi, au bout de ma rue, soit 5 minutes 30 à pied. Donc garantie que je serai toujours à l'heure qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, qu'il y ait des embouteillages, qu'il n'y ait plus de pétrole sur terre. Candidature début juillet via le site (donc à remplir les cases, voir plus haut). Mi juillet, on m'appelle pour l'informer que j'aurai un entretien téléphonique à 17h30 le 5 août. Cet entretien se passe très bien, mon profil est très intéressant. J'informe mon interlocutrice de ma RQTH et du mi-temps nécessaire. Elle m'affirme que ce n'est pas un problème, que l'entreprise fait tout pour intégrer des personnes en situation de handicap etc. Ma candidature prendra juste plus de temps, puisqu'elle sera traitée par le service Mission Handicap. Fin août, un autre appel me convie à un entretien physique à Paris, qui s'il est concluant, sera suivi d'un entretien physique à Rennes (logique non, pour un poste au bout de ma rue). Pôle Emploi, donc le contribuable, me paie mon billet de train. Je me prépare comme pour les J.O. Esthéticienne, coiffeur, sport à fond pour être en forme, je passe 10 jours sur le site internet à TOUT étudier. J'ai super confiance en moi, ce poste est pour moi ! Je l'attendais, il m'attend, c'est pour cela que je n'ai pas été prise aux entretiens précédents...
Paris, siège social aseptisé, les gens portent tous des tenues similaires, des tailleurs impec pour les femmes, des costars sombres pour les hommes, alors qu'il fait un soleil radieux. Ah, ma chère province... Et lors de l'entretien, badaboum ! Les questions que l'on me pose sont d'une précision terrible et ultra formatées. Exemple : Donnez-moi un exemple précis, dans vos expériences professionnelles, d'une situation précise, avec le contexte précis, d'un process que vous avez du installer pour aider votre équipe de travail, pour vous adapter à un système informatique, pour assumer une journée particulièrement chargée.
Là, mon crime est de ne pas avoir travaillé depuis plus de 2 ans. Car des exemples précis, je n'en n'ai plus. J'ai des souvenirs globaux de mes boulots précédents (ambiance, journée type, galères, joies, succès, échec). Mais des exemples précis non. Je ne sais plus où j'en envoyé une cliente qui m'avait remercié chaleureusement pour lui avoir "sauver ses vacances de Noël".
J'étais venue à cet entretien pour parler d'avenir, on ne m'a parlé que de mon passé qui commence à être lointain. Quelqu'un déjà en poste ou au chômage aurait certainement répondu très facilement à ces questions. Moi non. Même si dans la vie j'ai une imagination débordante, en entretien non. Car je ne mens jamais. Je suis moi et je n'invente rien.
Si elle m'avait questionnée sur mon présent, j'aurais eu des exemples par dizaines. Ce n'est pas parce que je suis au chômage que je ne fais rien. Dans mon bénévolat, je suis justement amenée à réagir, à prendre des décisions, à mettre des process en place. S'il était payé, mon bénévolat pourrait être un métier.
Qui plus est, mon interlocutrice ignorait tout de mon profil (RQTH, mi-temps)
Bref, on me dit, réponse sous 15 jours. Je le sens mal, mais on ne sait jamais. Et le surlendemain, un mail générique m'annonce que... NON.
Bref, cet entretien Parisien pour un CDD de 6 mois au bout de ma rue a achevé de m'achever. En fait, j'ai l'impression qu'expériences et compétences ne comptent plus beaucoup, que c'est votre endurance potentielle que l'on juge sur un entretien d'une heure.
Et dans mon malheur, je me dis que j'ai de la chance de n'avoir ni mari, ni enfants. Personne que je ne puisse décevoir à part moi. Personne à qui je dois servir d'exemple, personne à qui je dois inculquer les valeurs "si tu travailles bien à l'école, si tu es courageux, tu y arriveras dans la vie". Je n'ai pas d'enfants à qui dire : "Maman n'a pas été prise encore cette fois ci". Quand je rentre chez moi, personne n'a mi de bouteille de champagne au frigo au cas où.
Alors, après 2 ans de chômage et de recherche le plus souvent intense, j'en viens à comprendre que des gens pètent les plombs, tombent dans l'alcool ou autre, changent de caractère, divorcent, se suicide devant les prêts maison impossible à rembourser etc...
Notre époque, notre société est malade d'elle-même. On ne nous parle que de compétitivité alors qu'un peu plus d'humanité guérirait bien des maux. On préfère payer des chômeurs à ne pas travailler au lieu de créer des emplois dans les grandes entreprises désertées par des patrons avec des indemnités de plusieurs dizaines de millions d'euros. Combien d'emplois pourraient être créés, même si pas ultra compétitifs, avec les millions d'euros de parachutes dorés. 50 millions d'Euros pourraient représenter 2500 personnes travaillant un an pour un salaire annuel de 20 000 € si mes calculs sont bons. 2500 chomeurs et des indéminités chômage en moins pour tout le monde.
Et la fragilité légitime du chômeur n'est jamais prise en compte, pire, elle n'est pas acceptée. Quant à celle des personnes en situation de handicap, n'en parlons pas. Le statut est la, mais les conséquences psychologiques doivent être bien enterrées pour ne pas déranger...
Et, comme certains auteurs connaissent la maladie de la page blanche, la panne d'inspiration, et bien moi, je sens que me vient la panne de motivation, la panique de l'offre d'emploi, l'angoisse des cases à remplir.