AVC, c'était il y a 10 ans...
Publié le 18 Janvier 2018
Il y a 10 ans jour pour jour, ma vie basculait et j'avais 35 ans. Je faisais un AVC, par thrombose cérébrale (à savoir un caillot dans une veine du cerveau). C'est le scanner du C.H.U de Rennes et les médecins qui me l'ont dit car jusqu'à cet examen, je ne comprenais rien de ce qui m'arrivait.
Je savais juste que je souffrais de façon inhumaine et croissante depuis 3 jours. Mon médecin traitant m'avait dit que je faisais une grosse migraine (maux de tête et vomissement). Sauf que s'il avait bien regardé mon dossier médical, il aurait compris avant et m'aurait évité 24 heures de douleurs intolérables et des dégâts encore plus irréparables. Car je suis porteuse d'une maladie génétique, qu'on appelle "mutation du facteur 5" ou encore terme plus médical, le facteur de Leiden. A savoir que je suis prédisposée aux thromboses et qu'à l'âge de 18 ans, une thrombose de toute la jambe droite avait déjà bien chamboulé ma vie. Mais à l'époque, nièce d'un grand chirurgien de l'hôpital qui m'accueillit dans le Nord, j'avais bénéficié des meilleurs soins, de la meilleure attention et de la plus grande humanité du monde...
Mais quand le mal s'attaque au cerveau, c'est une tout autre chose, une toute autre perception pour la victime, et aussi de toutes autres conséquences. Dans l'ambulance qui finalement me conduisit au C.H.U de Rennes, je sentais juste que trop de souffrance, ça tue, et que j'étais en train de mourir... de souffrance. Ce qu'a confirmé le personnel médical. Il y a 10 ans, j'ignorais donc que je serais encore là pour en parler. Après de bonnes doses d'anticoagulants et une convalescence cocooning chez Maman, je parvenais enfin, accrochée à ses bras, à "faire la digue" aller/retour de Saint Lunaire, puis à reprendre le travail en mi-temps thérapeutique. Et je ne me doutais pas alors que de cet AVC, je parlerais encore 10 ans plus tard, et que c'est celui-ci qui commanderait globalement ma vie. Que plus grand chose ne serait plus jamais comme avant.
Certes, je vis toujours certains moments "comme avant", ces moments sympas de la vie, de petites et grandes joies, de partage, de rencontres, de voyages, de découvertes, de surprises et même d'insouciance etc...
Mais dans son intégralité, et ce, malgré les apparences, ma vie n'est plus comme avant et ne le sera plus jamais. Certes, je jouis librement de mes bras, de mes jambes, de la parole. Ma mobilité est donc, toujours en apparence, totale. Mais je subis désormais ce que l'on appelle "les handicaps invisibles"...
La fatigabilité, hors des moments d'excitations est l'un d'eux. Je passe quasiment mes après-midi à dormir. Je peux bien sûr "sauter" une sieste ou deux d'affiler, mais guère plus. Ce qui fait qu'un travail à temps complet est désormais inenvisageable. Maxi 15 heures par semaine, ce qui ne court pas les rues. Cette fatigabilité est souvent "critiquée" ou incomprise par "les autres", tant je fais preuve d'énergie en public.
Les difficultés d'attention et de mémorisation. Cela me frustre moi-même et agace "les autres", qui pensent que je me fous "de tout". Le ralentissement de mon cerveau, voire parfois son incapacité, pour comprendre des schémas, des techniques, des calculs, une certaine logique, bref, ce qui est nouveau et souvent professionnel. Car en plus, dans le professionnel, il y a l'urgence, l'obligation, la rentabilité, le "pas le droit à l'erreur"...
Le manque du mot... Alors que tout le monde me dit que cela arrive à tout le monde... Moi, je ne choisis pas toujours les mots qui sortent de ma bouche. Je peux dire "parasol" au lieu de "balais", "assiette" au lieu de "bol", "pyjama" au lieu de "blouson" et ceci, dans le meilleur des cas. Car le mot que j'utilise le plus depuis 10 ans il me semble est : "truc". Ou "la chose qui sert à". Parfois, je suis dans un moment important et le mot ne vient pas et cela m'énerve encore plus. L'autre jour, une inondation sur mon palier, je suis incapable de dire "aux autres" le mot "robinet". Certains n'imaginent même pas mon problème et d'autres trouvent aussi mes erreurs "amusantes" puisqu'ils oublient ou ignorent mon état général. Quant aux erreurs de prénoms où la difficulté à retenir ceux-ci, Dieu sait quelles foudres elles me valent "des autres", avec des réflexions comme :" pourquoi t'essaies de retenir le prénom de tes collègues puisque tu t'en fiches".
Le manque du mot peut aussi se détecter sur les chroniques de mon blog, mais en moindres proportions. Parce que sur mon ordi, Google est mon ami et que sur Google, on trouve le dictionnaire des synonymes en un clic.
Le stress, petit ou grand, réel ou d'apparence futile, matériel ou humain, et bien je ne le gère plus du tout, donc il faut que j'organise ma vie de façon à l'éviter au maximum afin de la rendre un minimum vivable tant au quotidien que sur le long terme.
Car, suite à mon AVC, 6 mois plus tard, j'ai déclenché aussi un énorme E.S.P.T (Etat de Stress Post Traumatique), qui s'est éternisé pour finir par être diagnostiqué en bipolarité de type 2, autre handicap fichtrement invisible et pourtant ô combien présent.
Alors, force est de constater, même si c'est très difficile à accepter, avec des moments de révoltes, que depuis 10 ans, ma vie n'est plus comme avant et ne le sera plus jamais.
Je n'ai jamais été carriériste, privilégiant ma façon de vivre à droite et à gauche, mais tout de même. J'étais une agent de voyages plutôt brillante. J'ai fini au Mc Do pour en démissionner 1 an et demi après, plus pour stress humain qu'autre chose. Et pour me résoudre à une autre tentative. Ne plus travailler et consacrer les heures "où je pourrais travailler" au bénévolat, là où le stress est globalement moindre, même si pas tout à fait absent. Je suis donc maintenant bénévole 2 matinées par semaines à la Banque Alimentaire, un après-midi à la SPA et quasi quotidiennement, auprès de Félin Possible. J'en tiens la page facebook et rends divers services à droite et à gauche. Tout cela, histoire de "mériter ma pitance", puisque je vis désormais des aides et de ma pension d'adulte handicapée, même si, d'apparence, je suis une personne comme les autres.
Mais finies les ambitions tant professionnelles que personnelles. Plus aucune confiance en mes compétences cérébrales, notamment la mémorisation. Et la peur de tout ou presque. De décevoir, de me décevoir moi-même, de ne pas retenir, d'oublier, de gaffer, de ne pas être à la hauteur, d'être fatiguée. Les idées sont là, parfois aussi les envies, mais l'énergie, l'organisation, et la foutue mémoire nécessaires font défaut. Terrifiée par mes défaillances possibles et aussi quotidiennes, de ne pas comprendre assez vite, de ne pas retenir... Du coup, sans doute plein de choses que je parviendrais à faire que je ne tente même pas. Ajoutez à cela l'irrégularité de l'état général d'une bipolaire... Aucun état, donc aucune capacité n'est prévisible sur le moyen ou le long terme. Et même parfois, d'un jour à l'autre, il reste imprévisible.
A l'époque où je vivais au gré de mes envies géographiques (Guadeloupe, Etats-Unis, Londres...), je pensais que j'avais toute la vie pour me créer un bon socle professionnel, une carrière évolutive et parvenir à un statut qui mettrait en valeur mes compétences, mon savoir être, et l'enrichissement de ma vie fantaisiste pour l'époque. Et bien non. Un caillou de quelques millimètres dans mon cerveau m'oblige à renoncer. J'aurais peut-être du y penser avant.
Car maintenant, il y a "un gap" (Céline, sort de ce corps"), entre les rêves ou aspirations professionnels (raisonnable hein, il ne s'agit pas de rêver de devenir astronaute à 45 ans !) et les capacités, l'énergie, la constance. Les idées et envies (passagères, récurrentes, mais toujours hyper enthousiasmantes) ne manquent pas. Mais ne peuvent rester qu'au stade de l'idée, puisque je serais incapables de les mettre en place, pour cause de fatigue et de variation d'humeur. Quel gâchis !
Bref, tout ça pour dire que voilà, ça fait 10 ans que ça dure. Il y a eu des bien plus bas que maintenant, il y a eu aussi des hyper plus haut que ces temps-ci. Et que être moi, avec un cerveau et un corps qui ne suivent pas l'esprit, avec la forme qui s'absente sans prévenir, avec les up et les down, avec le bon, le moyen et le mauvais et bien c'est fatiguant, frustrant, blessant, humiliant aussi parfois, agaçant, attristant. Bref, c'est exténuant.
Ceci n'est pas un billet pour me plaindre. Mais, une fois de plus, pour témoigner, pour vous aider peut-être à comprendre mieux l'un de vos proches qui serait un peu comme moi. Pour que les handicaps invisibles soient reconnus, (et pas que par la médecine et l'administration, et encore, quand elles les reconnaissent), respectés, expliqués au plus grand nombre. Et aussi, acceptés bien sûr, même s'ils ne sont pas palpables.
Pour les victimes d'AVC qui seraient déprimés ou découragés par mon billet, je précise que ceci est MON cas et que chaque cas, chaque guérison (etc) est différente suivant les personnes.
Plus d'info sur mon cursus, chemin de croix ou calvaire médical ICI, si vous voulez