CERTAINES N'AVAIT JAMAIS VU LA MER, de Julie OTSUKA
Publié le 15 Février 2016
Roman - Editions Audiolib - 4h d'écoute - 18 €
Parution en Audiolib en 2013. Existe aussi en poche.
L'histoire : Début XXème siècle, de jeunes et pures japonnaises embarquent sur un paquebot. Direction l'Amérique et le mariage. Elles ont en effet été choisies sur "catalogue" par des futurs époux dont elles ne connaissent rien, sauf une photo truquée, une profession et un statut social surestimés..
A l'arrivée, c'est la désillusion, l'emprisonnement d'une vie qu'elles n'imaginaient pas, la violence des hommes, l'esclavage dans les champs, le racisme, les efforts pour s'intégrer...
Tentation : La blogo
Fournisseur : Sylire, merci pour le prêt !
Mon humble avis : Ce roman, magnifiquement lu par la comédienne Irène Jacob, a reçu le prix Fémina Etranger en 2012.
Même s'il est imparfait, "Certaines n'avaient jamais vu la mer" m'a beaucoup plus, ou devrais-je dire pour être plus précise, beaucoup intéressée.
En effet, il traite d'un fait méconnu, rarement évoqué en littérature comme au cinéma ou dans les livres d'Histoire : L'immigration des japonais aux Etats-Unis. En général, quand on parle de l'immigration outre-Atlantique, il s'agit plutôt de celles des Européens, et notamment des Irlandais. Ou encore, de celle des Mexicains, des Cubains... Cela rend ce court roman particulièrement instructif.
La narration est originale. En effet, une japonaise narre son histoire mais en usant de la première personne du pluriel : ce "Nous" qui permet de témoigner de son propre vécu, mais aussi de celui de ses paires. Ce "Je" en tant qu'individu devient nous, parce que ces femmes ont été pour la plupart dépossédées de leur identité. Que de même origine, elles ont vécu le même destin mais de façons différentes. Une voix pour toutes les voix, pour toutes les voies.
A plusieurs reprises d'ailleurs, Julie Otsuka énumère, en usant comme d'une longue litanie, les mille et une façons que ces femmes ont vécu les grandes étapes de leur vie. Oui, car il y a mille et une façons de perdre sa virginité (entre la douceur et la violence), d'accoucher (entre le fossé et le lit de soie), de rêver (entre une belle récolte et une vie de luxe), de quitter de force un endroit (sans se retourner, avec des regrets, une valise, les mains vides...) . Ces passages, qui pourraient paraître comme lassant, ont au contraire été pour moi très touchants, prenants, émouvants. Car malgré le "Nous" utilisé par l'auteure, il y a bien mille et une âmes, réactions, désir, désespoirs... Malgré la ressemblance, le monde est bien multiple.
Puis, en cours de narration, le "Nous" reste, mais c'est alors une américaine qui s'exprime en son nom propre et en celui de ces concitoyens. Nous avons donc eu la vision japonaise, puis la vision américaine. Ce qui permet sans doute à l'auteure, Américaine d'origine nippone, d'exprimer et d'explorer ses deux cultures.
J'ai regretté cependant ce qui m'est paru comme un saut dans le temps. En effet, à moins que mon attention ait été moindre à un moment donné, nous accompagnons ces femmes aux champs où elles travaillent comme des forcenées pour presque rien. Et quelque temps plus tard, nous les trouvons tenancière d'un hôtel, d'une boutique, avec des enfants étudiants dans de grandes universités. J'aurais aimé suivre le chemin qui les a menées de la pauvreté et la soumission à la propriété et un certain accès à la culture et l'éducation.
Enfin, même si ce roman se déroule il y a plus de 100 ans, il est hélas encore bien actuel. Que ce soit pour les filles de l'Est, d'Asie du sud Est à qui l'on promet une vie de reine au bout du monde pour les mettre sur un trottoir, ou tous ces migrants qui prennent la mer pour entrer en Europe, il y a la désillusion, les sales et basses besognes, la précarité, le racisme, le rejet, la difficile intégration. Sauf que dans ce roman, cela s'achève par la deuxième Guerre Mondiale, qui, aux Etats-Unis, a fait de chaque japonais un espion potentiel, donc un danger pour la sécurité nationale. Là, encore, on n'est pas si loin de notre époque.