DISGRÂCE, de J.M COETZEE
Publié le 19 Juillet 2019

Roman - Editions Points - 272 pages - 7.40 €
Parution d'origine au Seuil en 2002
L'histoire : David Lurie, 52 ans, deux fois divorcé, enseigne à l'université du Cap. Une jeune étudiante, parmi ses nombreuses conquêtes, finit par l'accuser de harcèlement sexuel. Contraint à la démission, David se réfugie auprès de sa fille, Lucy, qui vit dans une ferme isolée. Mais les temps ont changé et sa retraite vire au drame. La bourgeoisie sud-africaine doit payer pour les crimes de l'apartheid...
Tentation : Toujours dans ma découverte de la littérature sud africaine
Fournisseur : Ma CB

Mon humble avis : Décidément, la littérature sud-africaine se révèle d'une richesse et d'une variété extraordinaire.
J.M Coetzee s'est vu couronné par du Prix Nobel de littérature en 2003. Et Disgrâce a été récompensé par de nombreux prix internationaux. Donc accrochez-vous, car on est ici dans du haut de gamme !
Ce roman a quelque chose d'envoûtant, même s'il met quelque temps à devenir vraiment intéressant. Il est passionnant, même si difficile d'accès pour une lectrice européenne qui n'a pas vécu cette Histoire, celle de l'Afrique du Sud. Disgrâce est aussi très dérangeant et nous pousse derrière nos retranchements de notre logique autant cartésienne qu'émotionnelle. Enfin, ce roman est très subtil, notamment dans les rapports humains qui y sont décrits... Ceux-ci sont souvent faits de longs silences, de phrases courtes qui coupent net les dialogues, ainsi est la volonté des personnages. Par pudeur certes, mais aussi par envie de liberté de vivre sa vie telle qu'on l'entend. Et paradoxalement, par la volonté de ne faire ni bruit ni vague pour pouvoir rester là où l'on est. Pour être protégé. Ce roman dégage une grande ambiguïté révoltante... Envie d'être libre de sa vie, mais en même temps mener la politique de l'autruche, se soumettre à une violence extrême, à une domination malsaine pour "assumer" ses choix de vie. Acceptez d'être victime et humiliée est pour le lecteur quelque chose d'évidemment impensable.... Même si cela semble être pour "réparer l'Histoire". Mais si l'auteur évoque ce type de destin de certains de ses compatriotes, c'est que là-bas dans ces fermes isolées d'Afrique du sud, cela existe.
"Espères-tu expier les crimes du passé en souffrant de le présent" ?
La toile de fond de Disgrâce est donc évidemment le racisme, sans pour autant revenir verbalement sur l'époque de l'Apartheid.
Mais d'autres sujets sont justement développés... La condition et la protection animale avec notamment, l'euthanasie des animaux domestiques abandonné. En effet, David Lurie, pendant son séjour chez sa fille, va devenir bénévole au refuge local de la SPA... Dans ces passages, l'auteur use de nombreux symbole pour évoquer l'humain. Cette expérience au refuge va, peu à peu et très discrètement, le changer à jamais. L'amenant à penser différemment, à s'attacher ou à se révolter sur ce qui l'indifférait quelques mois plus tôt.
Il y a l'addiction à la jeunesse, au refus de constater le vieillissement personnel et tout à coup, se prendre tout en pleine face, quand la disgrâce vous éloigne de tout et vous offre l'infini et le vide pour penser, réfléchir, réaliser... Et tenter de devenir aimable tel quel.... Aspirer à une certaine rédemption, avec ce que l'on était, ce que l'on est et que l'on sera toujours... J.M Coetzee nous parle aussi de l'attachement viscéral des fermiers blancs à leur terre.
Le titre "Disgrâce" est au singulier... Il aurait pu être au pluriel.... Celle du père, quelque part méritée, acceptée mais dont les causes ne sont pas regrettées pour le père. En effet, en quoi le désir serait-il amoral, telle est la question. La disgrâce de Lucie, la fille... Une disgrâce subie, injuste, acceptée par réflexe d'une certaine survie et enfouie au coeur de l'âme...
Bref, ce roman très subtil, écrit d'une plume aussi magistrale que froide, sombre, qui dresse un portrait réaliste sans concession de la société sud-africaine bancale post apartheid, je ne peux qu'en vous conseiller la lecture... En acceptant d'être dérangés dans votre version manichéenne du monde. Disgrâce est un roman très éloigné de ma zone de confort, et pourtant, sa lecture était addictive pour moi et j'ai vraiment beaucoup aimé !
PS : Pour info, ce roman a été adapté au cinéma en 2008 avec John Malkovich dans le rôle de David Lurie. Pas vu, mais vais tenter de le voir !
Le billet de Keisha