2084. LA FIN DU MONDE, de Boualem SANSAL
Publié le 14 Octobre 2020
Roman - Editions Ecoutez lire - 7h56 d'écoute - 18.99 €
Parution d'origine chez Gallimard en 2015
L'histoire : L'Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, "délégué" de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l'amnésie et la soumission au dieu unique. Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l'existence d'un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la Religion...
Tentation : La blogo à l'époque
Fournisseur : Bib N°3
Mon humble avis : Il y a dans ce titre une référence évidente à 1984, de George Orwell... Que je n'ai toujours pas lu, donc je ne ferai aucun autre parallèle entre ces deux oeuvres dans ce billet.
Difficile de chroniquer un tel roman, quelque part trop cérébral et alambiqué par rapport à ce que je suis. La narration, assez nébuleuse n'est d'ailleurs pas évidente à suivre. Elle nécessite une grande concentration, notamment pour repérer chaque personnage et les situer dans la "hiérarchie" de l'Abistan. Dans ce cas, la lecture audio, qui empêche les retours faciles aux pages précédentes, n'est sans doute pas idéale. Pour être honnête, j'ai fini par renoncer à suivre les tenants et les aboutissants de l'histoire, les pérégrinations d'Ati et de son compagnon, et leurs multiples rencontres. Bref, je serais bien incapable de raconter ce livre si l'on me le demandait.
Et pourtant, j'ai pris un plaisir immense à cette lecture ! Etrange non ?! C'est que le sujet de fond me passionnait, et que j'étais admirative du talent de l'auteur pour mettre en mots, en humour, en puissance, en absurde, en glace, en sagesse, en rage, tous les faits qu'il évoque et dénonce. Chaque paragraphe énonçant et expliquant un nouvel aspect des dictatures, avant tout religieuses ici (mais cela peut aussi fonctionner sans dieu (la preuve en Corée du Nord), me lançait comme des décharges inspirantes et invitantes à la réflexion, au développement. En quelques sortes, j'ai eu l'impression d'un flash back dans mes années philo du lycée. Si je n'avais écouté ce livre en me baladant, j'aurais répondu aux démangeaisons de mon cerveau qui turbinait, qui s'éclatait dans toutes ses réflexions et de mes doigts : j'aurais ressorti des copies doubles, un stylo plume, et je me serais éclatée à disserter des heures sur ces sujets.
Dans ce roman d'anticipation, conte philosophique moderne, Boualem Sansal invente un Etat théocratique. A travers l'histoire, le quotidien et les réflexions de ses personnages, Sansal dénonce ces dictatures religieuses, et surtout, l'extrémisme religieux sous toutes ses formes et toutes ses conséquences. Certes, on comprend très vite que c'est l'Islamisme qui est pointé du doigts - puisqu'hélas, des actes rappellent ceux de Daesh - mais les critiques de l'auteur s'adaptent à toute religion monothéiste, donc aussi au catholicisme. Pour détailler la mise en place et le fonctionnement de ses dictatures, Boualem Sansal développe de nouveau sujet telle que le pouvoir, la soumission, pensée unique, l'ignorance, la mécréance, la croyance, la foi, la peur, la domination, pensée, contre-pensée, la délation, liberté, aveuglement, répression, révolte, confort de la méconnaissance, manipulation, frontière, guerre, mensonge, j'en passe et des meilleurs. Ca commence en 2084, mais bien des réalités sont actuelles, ou s'adaptent hélas déjà très bien à notre époque.
2084. La fin du monde... Un étrange roman aussi riche que confus où il est difficile d'y voir clair et où, pourtant, le message est d'une limpidité lumineuse et brillante. Pas impossible que je me l'achète en version papier, pour m'y replonger à des endroits précis, et laisser mon cerveau s'éclater, à se faire des noeuds, à sursauter de clairvoyance, à développer les évidences pour son propre plaisir !
« ... nous avons inventé un monde si absurde qu’il nous faut nous-mêmes l’être chaque jour un peu plus pour seulement retrouver notre place de la veille »
« Les plus dangereux sont ceux qui ne rêvent pas, ils ont l'âme glacée… »
"La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité."
"La patience est l'autre nom de la foi, elle est le chemin et le but, tel était l'enseignement premier, au même titre que l'obéissance et la soumission, qui faisaient le bon croyant."
"Mécroire, c'est refuser une croyance dans laquelle on est inscrit d'office"
"Croire que l'avenir nous appartient parce qu'on sait est une erreur courante."
"La soumission engendre la révolte et la révolte engendre la soumission : il faut cela, ce couple indissoluble, pour que la conscience de soi existe."