LA LEGENDE DE NOS PERES, de Sorj CHALANDON
Publié le 10 Octobre 2020
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Roman - Editions Livre de Poche - 254 pages - 7.20 €
Parution d'origine chez Grasset en 2009
L'histoire : Mr Frémaux est biographe. Il met en forme et en mots les vies que ses clients lui racontent. Il est aussi le fils de "Brumaire", un ancien résistant décédé vingt-six ans plus tôt. Il n'a jamais rien su des exploits de son taiseux de père. Lupuline le contacte : elle souhaite que Frémaux rédige la biographie de Beuzaboc, son père âgé de 83 ans, pour témoigner de ses multiples actions de soldat de l'ombre durant la deuxième Guerre Mondiale. Frémaux rencontre Beuzaboc une heure chaque semaine, écoute, écrit... Et s'interroge. Il doute. Quelque chose ne tourne pas rond...
Tentation : Ma PAL
Fournisseur : Ma PAL
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Mon humble avis : Cela fait si longtemps que j'attendais une lecture qui agisse autant sur moi, qui m'ébranle, et la voici ! Alors qu'elle m'attendait dans ma PAL depuis huit ans ! Un roman brillant, brûlant, puissant.
La magie Chalandon a de nouveau opéré, comme avant, dès les premières phrases, courtes, qui frappent, qui nous aspirent, et qui inspirent de suite un silence respectueux... comme si l'on pénétrait dans un mausolée. Et puis il y a ces mots choisis qui claquent, que l'on est étonné de voir accolés et qui confirment que nous sommes dans de la très belle littérature. Nous voilà captifs de cette histoire qui se déroule dans une touffeur épaisse, alourdie par la canicule de l'été 2003, qui semblait tout figer, ralentir et exacerber. Les rencontres hebdomadaires entre le biographe et son client se tiennent dans l'appartement de ce dernier : les volets sont clos pour que ne pénètre pas la chaleur, il fait sombre, un ventilateur ne ventile pas grand-chose, pas même les silences ni la tension qui s'installe. Le vieux est dans son fauteuil. Il raconte. Mais il ne semble pas être là, dans ce passé aussi héroïque que douloureux qu'il évoque. Le biographe s'interroge. Que se passe-t-il ? Où sont les tripes et la sueur du vécu ? Au fils des séances, c'est vers un bras de fer et un chaos que les deux hommes se dirigent. Le lecteur retient son souffle, car il règne un réel suspense, et s'interroge sur les motivations de Beuzboc et de sa fille. Se jouent-ils de Frémaux ou au contraire, lui permettent-ils de retrouver les traces de son père défunt ? Tout est poignant, tout est juste.
Pourquoi ce roman m'a-t-il tant remuée ? Déjà, parce qu'il se tient à Lille et ses environs, ma région d'origine, mes racines, mon sang, ma façon d'être. Et j'ai pris conscience que je ne me suis jamais vraiment interrogée sur ce qu'y était la vie pendant la deuxième Guerre Mondiale, sur les grands agissements de la résistance, les drames, les massacres qui y ont eu lieu... A l'école, on vous apprend Pearl Harbour mais pas les faits de votre région... ces faits qu'ont vécu nos grands-parents (pour qui est de ma génération). Mes deux grands-pères ont fait la guerre. Mais de leur guerre je ne sais rien, sauf qu'ils ont été faits prisonnier en Allemagne. Une phrase pour une guerre de cinq ans et deux grands-pères. Ce vide, cette méconnaissance m'a soudain pris à la gorge et m'a donné le vertige, comme devant un gouffre. Qu'ont-ils subi au jour le jour, avant, pendant, après qu'ils soient prisonniers. Je me suis même demandé : "ont ils dû tuer" ? Est-ce que cela les a hantés jusqu'à leurs derniers souffles ? Rien, je ne sais rien, parce que la vie est mal faite. A l'âge où j'aurais pu questionner mes grands-pères, saisir l'importance de ce qu'ils avaient traversé et les conséquences sur ma propre liberté de vie, ils n'étaient plus. J'étais en primaire (CE2, puis CM1 pour mon grand-père paternel). Trop jeune pour m'intéresser, et puis sans doute aussi que la société en général cherchait alors à protéger sa jeunesse de l'horreur qui n'était pas encore si lointaine dans le temps ? J'ai l'impression que lorsqu'on est gamin, si on a la chance de ne pas vivre la guerre, on ne la conceptualise pas du tout. Je le regrette infiniment, mais Chalandon recouvre ici quelques brèches. Bref, les visages de mes grands-pères m'ont accompagnée tout au long de ma lecture.
Au-delà des sujets de la résistance et de la transmission entre les générations, les sujets majeurs de ce roman sont évidemment le mensonge et son contraire, la vérité. Quand l'une prend la place de l'autre, ou se confond avec son opposé. Le mensonge est il tout de même un crime s'il permet de rendre hommage aux oubliés, aux discrets, s'il leur redonne vie ? Comment se sortir d'un mensonge qui vous a construit aux yeux des autres ? Faut-il en sortir, s'il apporte un certain confort à l'entourage, qui lui aussi s'est édifié sans le savoir autour de celui-ci ? Vraiment ? Et si tout n'était que légende, et que, c'est bien connu, une légende sert toujours une vérité ? Toutes les réponses dans ce bouleversant roman de Maître Chalandon !
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