TENIR SA LANGUE, de Polina PANASSENKO
Publié le 1 Février 2024
Roman - Editions de l'Olivier - 187 pages - 18 €
Parution en août 2022, prix Fémina des lycéens 2022
L'histoire : Quand Pauline, devenue adulte, souhaite retrouver légalement son prénom de baptême Russe, Polina, l'administration ne le voit pas d'un bon oeil, sous prétexte que le prénom Polina est "anti intégration". Les audiences se multiplieront au tribunal.
Entre temps, Polina se rappelle son enfance en Russie, puis à St Etienne, les nouveautés, les différences, et tous ces mots qu'il lui faut conquérir. Les années passent... Elle est Pauline à l'extérieur, et Polina à la maison, et lors des vacances d'été en Russie. Elle se dédouble...
Tentation : La blogo
Fournisseur : La bib de St Lunaire
Mon humble avis : Un premier roman, et à mon avis, pas le dernier ! Il est touchant, frais, drôle, et grave à la fois. Surtout, il aborde habilement et de façon très accessible et clair des sujets assez brûlant de l'actualité, et permet aux lecteurs de les aborder depuis l'intérieur : l'immigration, le déracinement, l'intégration, la double culture, et l'importance du langage, mais surtout de la langue, les langues, une grande part de l'identité.
J'ai d'abord été outrée par ce refus de l'administration. Pauline ne peut pas retrouver son prénom de baptême car il serait contraire à la démarche d'intégration !!! Alors qu'aujourd'hui, en France, n'importe qui peut nommer son enfant n'importe comment ou presque, du nom d'une star américaine, d'un personnage de film ou d'un joueur de foot. Alors que Polina vit en France depuis plus de vingt ans, elle est naturalisée française depuis belle lurette. Elle maîtrise parfaitement le français, bien mieux que moi en tout cas, et de nombre de mes concitoyens ou proches, (voire même de notre ministre des affaires étrangères) qui multiplient les fautes tant à l'oral qu'à l'écrit.
C'est en 1991, lors du Putsch raté contre Gorbachev, que Polina, son père, sa mère et sa grande soeur immigrent en France et s'installent à St Etienne. Les étés seront passés en Russie où sont restés les grands-parents. La romancière se glisse à nouveau dans son corps d'enfant pour y déterrer ses souvenirs d'alors, son incompréhension, ses découvertes, son silence devant ces mots- qui ne sont pour elle que des sons au premier abord) qu'elle ne comprend pas, puis sa gorge qui se débloque et émet des sons français !
Tenir sa langue, c'est apprendre celle de son nouveau pays. C'est garder le secret en Russie, car il serait dangereux pour elle de dire à ses amis qu'elle vit désormais en France, donc aucun idiome français ne doit sortir de sa bouche par erreur ou réflexe. C'est aussi ne pas dire un mot Russe en France, pour ne pas être différente, pour ne pas être moquée et s'intégrer. Ne surtout pas paraître étrangère. Mais Tenir sa langue, c'est également ne pas oublier sa langue d'origine et de naissance, une part entière de l'identité. Et l'énergie et l'imagination que déploie la mère de Polina pour que ces filles n'oublient le Russe sont très drôle à lire... Des mots et expressions russes sont en effet placardés aux toilettes, et visibles aussi bien debout, qu'assis, que sur la droite quand on prend le papier...
Avec humour, tendresse, autodérision, nostalgie, acuité, Polina Panassenko nous livre un très beau roman sur l'identité et l'exil, ainsi qu'un bel hommage à sa culture russe d'origine. A lire ! C'est savoureux ! Et un titre savamment trouvé !
"Russe à l'intérieur, français à l'extérieur. C'est pas compliqué. Quand on sort on met son français. Quand on rentre à la maison, on l'enlève. On peut même commencer à se déshabiller dans l'ascenseur. Sauf s'il y a des voisins."
"Si le son marche, il devient mot. S’il ne marche pas, je le relâche dans le fleuve. Un son qui marche c’est un son qui produit quelque chose. Un son qui ne marche pas équivaut au silence. Tu fais le son mais l’autre fait comme si tu n’avais rien dit."
"Je reconnecte au moment où Caroline dit "Autorisée à" c'est une formule de politesse juridique, ça veut dire "obligée de" s'appeler Pauline et "interdit" de s'appeler Polina."
"Français sans accent ça veut dire français accent TV personnage principal. Accent Laura Ingalls et Père Castor. Accent Jean-Pierre Pernaut et Claire Chazal. Prendre l’accent TV c’est renoncer à tous les autres. Pas de cumul possible avec l’accent TV. Une fois que tu parles comme au 20 heures tout autre accent devient un à-côté, un 5 à 7. Pour s’encanailler, comme au bon vieux temps mais rien de plus. Un accent qui revient sans qu’on l’appelle, c’est gênant comme Dom Juan qui tombe sur Done Elvire."
"Ce que je veux moi, c'est porter le prenom que j'ai reçu à la naissance. Sans le cacher,sans le maquiller, sans le modifier. Sans en avoir peur. Faire en France ce que ma grand-mère n'a pas pu faire en Union soviétique"