LES IMPATIENTES, de Djaïli Amadou AMAL
Publié le 16 Mai 2024
Roman - Editions J'ai Lu - 284 pages - 7.90 €
Parution J'ai Lu 2022 (Editions Emmanuelle Collas 2020)
Mon pitch : Nord du Cameroun, dans la communauté Peul musulmane, le destin tragique de trois femmes issues d'un milieu citadin et aisé. Trois femmes qui subissent les traditions tant peuls qu'islamiques et se retrouvent pour deux d'entre elles, mariées de force. La troisième voit arriver l'une d'elles dans son foyer, en qualité de deuxième épouse de son mari. Chacune rêve de s'affranchir de sa condition. Y parviendront-elles ? Et par quel moyen ?
Tentation : La blogo
Fournisseur : Ma CB
Mon humble avis : Prix Goncourt des Lycéens 2020 écrit par une romancière camerounaise, militante pour le droit des femmes, pour qui les mots et les livres sont des armes de défense et de dénonciation. Un roman inspiré d'histoires vraies, dont sans doute celle de Djaïli Amadou Amal, qui a vécu également un mariage forcé et un autre avec violences conjugales. Autant dire que ce roman est important, incontournable dans ce qu'il dénonce pendant que le monde poursuit sa rotation.
J'ai lu ce livre en apnée, car oui, il nous accroche, nous atterre, nous effare devant ce que subissent ces femmes... Soumission totale, humiliations, maltraitances physiques, viols, coups... D'objet de leurs pères, elles deviennent celui de leurs maris qui ont tout droit sur elles, de les battre comme de les répudier, comme de les "collectionner" puisqu'ils sont polygames, mais évidemment, en sens unique.
Ramla passe son bac, aime un garçon qui a obtenu sa main, et prévoit entreprendre des études de pharmacies. Mais pour le business de la famille, son père la donne plutôt à un homme de 50 ans, déjà marié à Safira. Safira a 35 ans, 20 ans de vie commune avec son mari et voit d'un très mauvaise oeil l'arrivée de cette coépouse. Au-delà de la trahison, elle craint de perdre sa place... Enfin, nous avons Hindou, demie soeur de Ramla, qui se voit contrainte d'épouser son cousin, qui noie son oisiveté dans l'alcool, les drogues et ses explosions de violence. C'est le sort d'Hindou qui révolte "le plus", il est insoutenable.
La littérature me dévoile ce que même aucun voyage touristique, aussi aventureux soit-il, ne me dira... Car un guide va expliquer la vie quotidienne et pratique de ces concitoyens... Mais pour ce qui touche aux moeurs, cela reste toujours plus ou moins tabou, et toujours vu sous le prisme du guide lui-même.
Ici, Djaïli Amadou Amal nous fait passer par dessus les murs de ces grandes concessions familiales où, pour cause de polygamie, se côtoient plusieurs épouses et multiples enfants, le tout avec une hiérarchie très précise, où même les oncles ont tous pouvoirs sur leurs nièces... Les enfants le sont de tous... Et dans ces enfants, certains sont frères/soeurs et en même temps cousins/cousines. Les coépouses se détestent entre elles et tout est stratégie pour rester ou devenir la favorite... Et ne pas irriter le patriarche... Donc silence, on subit, on patiente. Aucune protection ni consolation parentale, le seul mot qui est dit c'est "Munyal"... patience.
Patience... je ne sais pas si je considérerai encore ce terme de la même façon après cette lecture. A toute jeune fille qui va se marier (contre son gré), on lui impose la patience comme mantra, comme maître mot et route directrice. Mais ce que signifie patience là-bas, c'est la soumission, c'est supporter l'insupportable, c'est attendre ce qui n'adviendra jamais. Subir, subir encore et toujours. Alors qu'en France, la patience, c'est faire la queue dans un magasin, attendre un train en retard etc... Cela ne veut pas dire se taire, n'avoir aucun droit.
Forcément, en lisant ces pages, on ne peut être que choqué par cette hypocrisie qui règne dans ces concessions où il n'est question que d'honneur, de dignité, de rang, de réputation mais jamais d'amour. Et tout cela, au nom de traditions ancestrales et surtout, au nom d'Allah...
Ce livre, qui dénonce le sort des jeunes filles et des femmes de certaines contrées (ici le nord Cameroun) est donc indispensable et à lire. Et pourtant, je l'ai trouvé très imparfait. Au niveau littéraire, je l'ai trouvé assez pauvre, inégal, juste "propre", fait de phrases simples voire banales, parfois répétitives et de vocabulaire guère bien riche. A ce titre, sa nomination sur la première liste du Goncourt cette année là me surprend, même si son sujet le mérite bien.
On quitte Hindou à la moitié du roman, on ne revient pas vers elle alors qu'elle nous a tant bouleversée... Aussi, le lien entre les trois femmes, mise à part cette horrible destinée qu'elles n'ont pas choisie, est en fait un peu ténu. Enfin, je trouve qu'il manque une préface ou une postface, pour bien expliquer le contexte géographique, législatif et culturel précis, et éviter ainsi des amalgames possibles. Car bien sûr que l'on est plus que dans un roman... Ce sont des témoignages sous la couverture d'un roman.
Il n'empêche, ce livre, j'ai "aimé" le lire, ces héroïnes resteront longtemps en moi. Et moi ? Et bien une fois de plus je me dis que j'ai la chance d'être née en France, dans un pays où en majorité, malgré des inégalités récalcitrantes, la femme est libre et correctement traitée. Et si ça ne l'est pas, c'est la conséquence de comportements individuels qui, en grande partie, n'ont rien à voir avec une quelconque tradition ou une pratique religieuse. Certains voit un "drame" dans le fait que je ne me sois pas mariée, que je n'ai pas eu d'enfants... Cela n'a pas toujours été un choix, mais maintenant, ce constat me va bien. Et je vois surtout que je n'ai pas été obligée de me marier...
Une lecture éprouvante et bouleversante, mais indispensable. Et je suis loin d'avoir tout évoqué dans ce billet.
Le billet de Gambadou