JACARANDA, de Gaël FAYE
Publié le 29 Octobre 2024
Roman - Editions Grasset - 288 pages - 20.90 €
Parution le 14 août 2024 : Rentrée littéraire
Mon pitch : Milan est français, de père français et de mère rwandaise.
En 1994, à Versailles, la famille est devant la télé lorsque les premières images du génocide Tutsi sont diffusées. Mais à la maison, du Rwanda on ne parle pas. L'enfant Milan ne rencontre que silences lorsqu'ils questionnent ses parents. Il en sera de même lorsqu'il sera adolescent, puis adulte.
Plusieurs séjours là-bas, à la rencontre des siens, puis une installation définitive lui seront nécessaires pour comprendre ce que recouvre ce silence...
Tentation : Mon coup de coeur pour Petit pays, du même auteur
Fournisseur : La bib de St Lunaire
Mon humble avis : Jacaranda était l'un des romans les plus attendus de cette rentrée littéraire, et à l'heure où je rédige ce billet, il est encore dans la dernière liste du Prix Goncourt. J'espère sincèrement qu'il le remportera. Non seulement parce qu'il le mérite amplement... Mais pour qu'ainsi, il entre encore plus dans l'Histoire, et que l'Histoire qu'il raconte ne tombe pas dans l'oubli, qu'un hommage soit encore rendu à ses millions de victimes...
Milan est le narrateur, et nul doute qu'il est un peu le double littéraire de Gaël Faye, et que ces pages comportent une grande part d'autobiographie.
Quelques mois après le Génocide de 1994, la famille de Milan accueille Claude, un orphelin du génocide, que sa mère présente comme son cousin. Les deux garçons ont le même âge mais ne parlent pas la même langue. Mais Milan considère Claude comme le petit frère qu'il rêvait d'avoir, et le protège notamment lors de ses terreurs nocturnes. Deux mois plus tard, sans explication, Claude est renvoyé au pays... Milan ne se remettra jamais de cette séparation, et du silence qui l'a entourée.. Quelques années plus tard, sa mère l'emmène pour des vacances au Rwanda. Milan retrouve Claude, et découvrira qui il est réellement. Nous suivrons leur relation aussi fraternelle qu'amicale sur une vingtaine d'années, au fils des séjours de Milan au Rwanda, puis de sa vie quotidienne lorsqu'il s'y installe définitivement. Nous rencontrons également Stella, que Milan a connu tout bébé, la fille d'une amie de sa mère... Stella qui subit aussi le silence et les fantômes des siens, et qui trouve refuge, calme et sérénité en grimpant dans l'arbre du jardin : un magnifique Jacaranda. Au fil du roman, nous finirons par avoir le témoignage de la vie de calvaire et d'atrocité de Claude, de la mère de Stella, de son arrière-grand-mère Rosalie, et de la grand-mère de Milan... Et puis, en toute fin, Milan découvrira enfin pourquoi sa mère a fui le Rwanda. Autre personnage important, Sartre, un jeune Hutu, amis de Claude puis de Milan, qui a recueilli moults orphelins Tutsis du Génocide, pour créer un refuge de bric et de broc "Le palais".
Cette lecture est profondément bouleversante, et transcrite dans une très belle écriture, qui sait être poétique quand il le faut. Mais une écriture fluide, pas prétentieuse, qui sert vraiment son sujet et s'adresse à tous lecteurs, exigeants comme dilettants. Et c'est l'une de ses forces, car vraiment, il devrait être lu par tout le monde, pour ne pas oublier, pour comprendre, et cesser de se plaindre de ce que nous vivons pour la plupart dans notre pays bien protecteur et confortable, même si, je le sais, nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne.
On apprend beaucoup sur l'Histoire du Rwanda... Notamment la responsabilité des colons belges et les missionnaires dans cette haine entre Hutus et Tutsi qui a mené aux premiers massacres de Tutsi puis au génocide de 1994. Ce sont en effet les Belges qui ont imposé la carte d'identité mentionnant l'origine ethnique, à une époque où nombre de Rwandais ignoraient leur appartenance et s'en fichaient en fait. Une terrible erreur de l'armée française, aux conséquences majeures, est aussi évoquée.
Ce roman est sur le silence... Le silence par tradition. Le silence pour oublier. Et le silence pour ne pas dire et léguer l'horreur vécue. Mais le silence génère des questions, et des angoisses pour qui s'y cogne... Jacaranda pose aussi la question : les enfants doivent ils porter la culpabilité des crimes de leurs parents ?
Jacaranda est aussi sur un pays qui oscille entre défiance (les victimes vivent à côté et avec leurs bourreaux) et résilience, mais le Rwanda est montré ici comme un pays qui s'est se relever, se redresser, grandir, se moderniser et se tourner résolument vers l'avenir... sans oublier le passé.
Cette lecture est bouleversante et magnifique à la fois, difficile émotionnellement, mais malgré ce drame historique, Gaël Faye a l'intelligence et la délicatesse d'éviter tout pathos, et toute emphase. La cruauté psychologique est parfaitement narrée, mais l'auteur épargne à ses lecteurs les descriptions physiques des atrocités.
Un roman incontournable à mes yeux, une histoire qu'on ne lâche pas.