LES CHAUSSURES ITALIENNES, de Henning MANKELL
Publié le 19 Mai 2011
Roman - Editions Point (Seuil) -373 pages - 7.50 €
Parution d'origine en octobre 2009
L'histoire : Fredrick, 66 ans, vit seul depuis douze ans sur une île isolée de Suède. Sa seule activité quotidienne : un trou dans la glace et une baignade glaciale lui prouve qu'il est encore en vie.
Un jour sur la glace qui recouvre la mer, il aperçoit une vieille dame avec un déambulateur. Son passé resurgit et un avenir apparaît qui bouscule pas mal de choses dans la vie tranquille du reclus.
Tentation : La blogo (et surtout Clara) et la réputation de l'auteur.
Fournisseur : Un achat très compulsif à la F..C pour mon anniv !
Mon humble avis : Henning Mankell nous invite dans une autre dimension, hors du temps, sur une autre planète. C'est un peu l'impression que j'ai eue durant ma lecture. Les personnages surgissent comme venant de nulle part dans une atmosphère très étrange. Et pourtant, nous sommes bien sur terre, dans un monde épuré de tout superflus.Il semble que ce soit un choix de l'auteur,son point de départ, jusque dans son écriture. Quand le superflus disparaît, c'est l'essentiel qui se révèle : l'immensité, le silence, la solitude, la douleur, l'amour. Les saisons s'étendent avec langueur. Les personnages entrent en scènes chacun leur tour. Ils pourraient être improbables, on les trouve tout d'abord insolites pour les découvrir profondément humains au fil des pages.
Henning Mankell déterre le meilleur de l'homme enfoui sous une montagne de pire (où l'inverse) : peur, lâcheté, fuite, mensonge, erreur, regret, abandon, égoïsme. On dirait le travail d'un archéologue. Avec patience et délicatesse, couche par couche, au fur et à mesure que les glaces fondent, les personnages prennent forment. Et sous leurs blessures ou leur bienveillance, émergent leur bonté ou leurs impairs.
Et puis l'auteur montre que rien n'est immuable, que la vie réserve toujours des surprises. D'un désert de solitude, il crée une petite communauté d'hommes et de femmes qui se rencontrent, s'apprivoisent, apprennent à s'apprécier, à s'aimer, à se manquer, à se faire confiance, à se supporter tels qu'ils sont, dans toute leur vérité. Ces personnages finissent par ouvrir les portes de leur vie, accepter l'autre dans leur intime, dans leur apparente forteresse qui faussement et lâchement les protégeait de tout : la solitude qu'ils avaient choisie. L'auteur incite à la réflexion sur ce sujet aussi : la crainte de l'invasion de l'autre dans notre espace au détriment de la construction du lien et la conséquence directe : la solitude, sujet principale oserais je dire de ce livre avec la normalité supposé des individus, la tolérance et... oups que de sujets abordés dans ce livre en fait.
Ce roman ressemble à une composition musicale. D'ailleurs, il se découpe en 4 mouvements aux rythmes différents. Le deuxième prend des allures de road moovie. Point de motards, mais deux sexagénaires et un déambulateur.
Enfin, l'auteur s'appuie sur une symbolique très forte dans cette histoire. Chacun verra sans doute ces symboles de façons différentes mais tout de même... Le trou dans la glace, l'île (isolement par excellence), la caravane (aucune racine), les chaussures italiennes... Qu'ont elles de si particulier dans ce livre? Elles sont minutieusement adaptées au pied de celui qui les portera sur mesure au milimètre près. Ce sont des pièces uniques dont le délais de fabrication est long et demandent de la patience. Un peu comme la vie en fait ! Une vie réussie c'est du grand art, comme ce livre magistralement conçu.
Extrait :
- "Pourquoi n'y a-t-il personne de normal ici ? Pourquoi tous ces gens sont ils si étranges ?
- Il n'y a pas de gens normaux. C'est une fausse idée du monde, une idée que les politiques veulent nous faire avaler. l'idée que nous ferions partie d'une masse infinie de gens ordinaires qui n'ont ni la possibilité ni la volonté d'affirmer leur différence. Le citoyen lambda, l'homme de la rue ça n'existe pas. C'est juste une excuse que se donnent nos dirigeants pour nous mépriser."
- Nous avons peur de nous même et de ce que nous percevons de nous chez les autres.
- Pourquoi étais-je devenu cet homme perpétuellement en quête de nouvelles cachettes plutôt que d'intimité ?"
H. Mankell