A LA LIGNE, de Joseph PONTHUS
Publié le 6 Décembre 2022
Roman - Editions Ecoutez lire - 3h10 d'écoute - 12.99 €
Parution aux Editions de la Table ronde en 2019
L'histoire : Le narrateur est éducateur spécialisé au chômage, près de Lorient. Mais il faut bien payer les factures. Alors, il va travailler à l'usine, en intérimaire. Celle du poisson, puis les abattoirs. En trois huit, à la chaîne, à la ligne... Et il raconte le bruit, la fatigue, l'usure du corps, la cadence infernale, le sang des bêtes, l'odeur qui s'immisce partout... Il pourrait devenir fou... Sauf que quand il travaille, c'est Charles Trainet, Appolinaire, Hugo, Dumas qui le sauve. Les longues études faites il y a des années ne sont pas vaines... Elles lui permettent d'avoir cette culture, cet échappatoire, et surtout d'écrire... à la ligne, comme il travail.
Tentation : La blogo
Fournisseur : La bib de Rennes
Mon humble avis : Lors de sa sortie en 2019, ce roman a rencontré un énorme succès, tant en prix littéraires qu'en visibilité sur la blogosphère... Les billets que j'ai lus à cette époque précisaient que ce texte ne comportait aucune ponctuation, ni point, ni virgule.... Ecrit au kilomètre, à la ligne, comme le travail du narrateur. J'ai donc attendu pour audio lire "A la ligne" voulant être chez moi et non en voiture pour cette écoute... J'avais peur d'être perdue sans ponctuation... Et en fait, pas du tout ! En tous cas, l'interprétation qu'en fait Jacques Bonnaffé est excellente ! Certes, il est bien obligé de respirer ! Mais les tons, les modulations de voix ont été pour moi comme une ponctuation... et une cadence... Comme à la chaîne. Et de plus, le texte est tout de même découpé en courts chapitres. Donc aucun problème d'écoute sur la forme !
Quant au roman en lui-même, et bien il est magistral ! L'univers, le quotidien, la réalité racontés par le narrateur sont pourtant sombres, durs, limite glauques, et pourtant, il émane de ce texte une belle lumière, même si elle reste tamisée, on va dire qu'elle adoucit les moeurs ! Parce que même si le narrateur est colère, est triste, est douloureux, est épuisé, il n'est jamais aigri, ne manque vraiment pas d'humour - même si décalé ou noir, on ne se tord pas de rire, (ni de sarcasme pour dénoncer les injustices ou certaines situations ubuesques) et déborde de poésie. Quelle écriture, mais quelle écriture ! Décrire des usines, des machines, des tonnes de poissons ou des pièces de viandes et y mettre autant de poésie rend tout plus fort, tout plus percutant, voir transperçant. La douceur, la force et la joliesse des mots pour décrire la laideur, c'est assez inédit pour moi et tellement bien mené ! Un fond qui s'adapte à la forme, tous deux si bien maîtrisé. Il y aurait tant à dire sur ces lignes !
A la ligne est un formidable hommage aux invisibles qui triment en trois huit à l'usine pour que l'on puisse avoir notre crabe sur la table... Un hommage aux ouvriers qui subissent parce qu'ils n'ont pas le choix, et qui sont fiers d'avoir un travail, aussi dur et inhumain soit-il. C'est un texte sociétal, sur les rapports sociaux entre cols blancs et cols bleus, les absurdités du monde du travail, et la soumission "volontaire". C'est aussi une belle déclaration d'amitié, de respect, de fraternité et d'amour, envers les collègues d'infortunes et la femme du narrateur. Certains passages sont bouleversants d'humanité, d'humilité, de vérité sans fard. Lorsque le narrateur s'adresse à sa mère, ma gorge s'est nouée.
Lisez ce livre, point à la ligne !.
Fort possible qu'à la ligne soit fortement autobiographique puisque l'auteur à lui-même été ouvrier spécialisé dans l'industrie agroalimentaire. Hélas, cette plume talentueuse ne nous régalera et ne nous remuera plus... Joseph Ponthus est décédé il y aura bientôt deux ans. A la ligne est donc son premier et son dernier roman. Mais tellement unique ! Joseph Ponthus a tout de même assisté à l'énorme succès de son texte, cela me console... juste un peu.