DEFAITE DES MAITRES ET DES POSSESSEURS, de Vincent MESSAGE

Publié le 20 Septembre 2021

Roman - Editions Points - 238 pages - 7.30 €

Parution Seuil 2016, Points 2017

L'histoire : Dans un futur plus ou moins proche... La Terre a été colonisée par des nomades stellaires, ressemblant étrangement aux hommes, au point qu'ils peuvent en prendre les us et les coutumes, mais soi-disant en mieux, sans abuser et user ce qu'offre la planète... De dominants, les hommes sont devenus dominés par cette autre espèce... et se sont vus prendre la place qu'occupaient auparavant les animaux, et classés en trois catégorie : il y a les humains ouvriers, qui travaillent dans des usines sans en sortir, des humains de compagnie, et des humains d'élevage, destinés à la boucherie et la consommation. 

Malo est un de ces nomades, qui fera tout pour sauver Iris, son humaine de compagnie blessée suite à un accident. Ce qui n'est pas simple, car Iris est en fait une humaine d'élevage cachée sous une fausse identité d'humaine de compagnie. Hors, la loi est claire : tout animal (humain) d'élevage blessé doit être euthanasié.

 

Tentation : Ma PAL

Fournisseur : Ma PAL

Mon humble avis : Ce n'est pas une claque que nous met se roman, mais une véritable gifle... Une gifle qui brûle, qui fait mal, qui laisse une trace pour longtemps, qui est assenée sous le coup de la colère. La colère, celle de Vincent Message, devant l'influence désastreuse de la présence humaine sur notre planète, le comportement inconséquent de l'Homme, comportement que l'on sait non viable sur le moyen et le long terme, et que peu ou prou tentent de modifier dans le bon sens, celui de l'avenir.

Ce n'est pas un roman que l'on dévore, en tout cas, ce ne fut pas le cas pour moi... Il faut l'ingurgiter, le ruminer, puis le digérer et ce n'est pas chose facile. Etrangement, je fais de ce livre un coup de coeur alors que sa lecture ne m'a pas été agréable. Elle fut au contraire pesante, étouffante, tant elle m'a poussée dans mes propres retranchements et mes ambiguïtés d'humaine. C'est aussi une lecture assez cérébrale, donc pas très fluide qui a été épuisante pour moi. Jamais un roman ne m'a autant bousculée je pense. Et si j'élève cette histoire au rang de mes coups de coeur, c'est parce qu'elle est affreusement audacieuse et dérangeante, osée presque, mais absolument nécessaire.

Défaite des maîtres et des possesseurs est une fable dystopique, éthique, engagée et écologique... qui dénonce notre manière de nous placer au sommet de l'échelle du vivant, d'agir comme maitres et possesseurs de la terre et de ses habitants, en oubliant que nous ne sommes que colocataires minoritaires, alors que nous nous octroyons le rôle principal et élargissons sans cesse notre "territoire" au dépend du reste du vivant.

Alors, pour que l'on saisisse bien les conséquences de tout cela, Vincent Message nous propose une expérience unique et très inconfortable... Une vue de notre société sous un autre angle... En inversant les rôles... Les humains deviennent les animaux et subissent le sort que nous réservons à ces derniers. Par les êtres stellaires désormais dominants, ils sont classés en trois catégories : les Hommes qui travaillent pour eux dans des conditions d'exploitations intolérables, jusqu'à l'épuisement, sans jamais sortir de leur usine, et que l'on méprise sitôt qu'ils ne sont plus exploitables. Des humains de compagnie, que l'on dresse et éduque comme on le souhaite, à qui l'on renie le droit de vivre libre dans leur environnement naturel, qui nous distraient, nous tiennent compagnie... Et que l'on euthanasie à la moindre maladie, au moindre accident ou handicap... C'est la loi... Et la loi limite l'âge des humains de compagnie à 60 ans. Enfin, il y a les humains d'élevage, ceux qui finiront à la boucherie puis dans les assiettes des nomades stellaires. Vincent Message nous emmène donc dans un abattoir d'humain et ne nous épargne rien, aucune étape, tant dans l'élevage en batterie, que dans les charniers, que dans l'étourdissement pas toujours réussi, et le découpage... sur des humains parfois encore vivants. Et évidemment, la viande de jeunes humains (enfants) étant considérée comme meilleure, plus tendre, elle coûte plus cher sur le marché. C'est absolument étouffant et glauque, mais c'est le reflet inversé de la réalité que nous ignorons, ou que nous choisissons d'ignorer, ou que nous entretenons plus ou moins consciemment par confort.

Vincent Message dénonce aussi le comportement des politiciens et les façons de gouverner. Ce sont dans les hémicycles que se décident le sort des invisibles, de ceux qui ne parlent pas, où de ceux à qui, par principe, on se refuse à donner la parole. Il est également question d'argent, de fin de vie (et d'euthanasie) d'injustices sociales et sociétales, d'inégalités... bref, de notre société dans toute sa "splendeur".

A travers la colonisation des Hommes par l'espèce stellaire, Vincent Message revient aussi sur les diverses colonisations menées par les Hommes, tant sur des espaces naturels qu'envers d'autres hommes, d'autres sociétés, et les dégâts que cela a occasionnés... Introduction de virus sur des populations fragiles, morts, guerres, ruine de l'environnement naturel. Cette partie du roman évoque aussi les mouvements migratoires passés et actuels, qui n'ont pour conséquences que d'élever encore plus les frontières...

Je ne pense pas que Vincent Message soit dans le prosélytisme végan. Non, il nous redit haut et fort, brutalement qu'il est plus que temps de modifier nos comportements, de quitter notre certitude de supériorité, de cesser l'ultra consommation, de tendre de plus en plus vers l'antispécisme, de diminuer drastiquement notre empreinte écologique, de revoir notre relation au reste du vivant, de ménager les ressources terrestres sous peine d'aller droit dans le mur, à notre perte, à notre disparition, à notre défaite de n'avoir su entretenir "notre jardin" sur la durée. Ce n'est pas la planète qu'il faut sauver... Car elle nous survivra. C'est notre possibilité de vivre agréablement sur celle-ci qui est à sauver. Pour cela, il ne faut pas penser que présent, il ne faut pas penser que confort personnel et individuel... Mais collectif et avenir... Toutes espèces, tous vivants confondus.

Bon, il y a tout de même Malo qui essaie de faire bouger les choses, de faire modifier les lois. Il se rend compte que son espèce ne fait guère mieux que la précédente, la nôtre... D'ailleurs, le titres pourraient être au pluriel... Et semble nous dire que comme en politique, qui pourrait se targuer de faire vraiment mieux que les précédents, sans un changement radical de la mentalité collective. Un Malo parmi tant d'autres, ce n'est pas suffisant hélas pour inverser la tendance... Même s'il y a l'amour de l'autre, de la différence, de la vie.

Un roman dur, sombre, glaçant, froid, implacable mais magistralement maîtrisé, mené, rédigé. On n'en sort vraiment pas indemne et pourtant, ce roman devrait être incontournable, tant il est riche, puissant et percutant.  A lire, à faire lire, mais pas forcément aux plus jeunes... je dirais ok à partir du lycée. Ce roman devrait être un ouvrage de référence dans son domaine.

Ce billet est plus long que d'habitude, mais il mériterait de l'être encore plus, tant il y a dire et à retenir de ce roman.

 

"On fait souvent le mal qu'on ne veut pas. Souvent on vise l'ennemi et ce n'est pas l'ennemi qui tombe. Parfois on ne vise même pas et il y en a qui tombent quand même."

"Aimer les animaux ce n'est pas moins aimer les hommes ; aimer les hommes ce n'est pas moins aimer les gens de notre espèce. Car si on aime la vie avec une passion folle, alors on peut aimer tous les vivants, reconnaître partout leur souffle, et ce qu'il a de fragile, et sa capacité à se détraquer en peu de temps, et se mettre à haïr, en regard, toutes les violences qui leur sont faites."

"Il faut du temps pour déconstruire les évidences, le cadre social, le cadre de pensée dans lequel on a vécu."

"Lorsqu'on croit comme moi à l'égalité, on ne veut pas de traitement de faveur, bien sûr, on tient à être traité comme les gens ordinaires, jusqu'à ce qu'on se rende compte à ses propres dépens qu'ils sont traités comme de la merde. Alors j'ai ravalé mes beaux principes."

"L'intérêt général, il ne peut pas rivaliser, le pauvre, quand se trouve menacé un bonheur si palpable et concret qu'on tenait entre ses mains."

"Car c'est notre condition, sans honte et sans fierté que d'être une espèce mimétique. Ou c'est la condition plus large de tout peuple nomade. S'il ne veut pas être chassé du nouveau territoire qu'il découvre et où l'envie le saisit de séjourner, il lui faut se fondre dans le décor - sous peine de voir son nomadisme reprendre plus tôt qu'il ne le voudrait."

"Sauver ce n'est pas sauver, de toute façon : c'est prolonger le sursis."

"Et cette inconséquence, d'une constante tout à fait remarquable, elle tenait pour beaucoup à leur emprisonnement dans le chaos des intérêts particuliers. Pour rien au monde ils n'auraient accepté quelque chose qui favorise plus le pays voisin que le leur, ou consenti des efforts substantiels pour des gens qui n'étaient même pas encore nés."

"Qui veut être le maître se perd ; qui veut par-dessus tout compter au nombre des possesseurs ne se maintiendra qu’en dépossédant tous les jours, tous les autres."

Rédigé par Géraldine

Publié dans #Littérature française

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A
J'en ai souvent entendu parler en bien, tu confirmes !
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A
Ah oui je l'avais lu celui-là, à la période où on en parlait pas mal sur les blogs mais je n'avais pas été aussi convaincue que la plupart.
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A
Un livre qui m'a marquée et qui oblige à creuser pas mal de questions, tout en gardant l'intérêt d'un roman.
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K
Un livre qui n'a pas vieilli et qu'il est nécessaire de lire.Un livre qui a changé la vie (enfin, l'alimentation) d'une blogueuse que je connais.
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