EN SALLE, de Claire BAGLIN

Publié le 28 Novembre 2022

Roman - Editions de Minuit - 160 pages - 16 €

Parution le 1er septembre 2022 : Rentrée littéraire

L'histoire : Claire est une enfant d'une famille modeste, où l'on compte chaque sou. Le père travaille en trois huit à l'usine. Et pendant les vacances, le summum, le graal pour les enfants est le repas au fast food.

Des années plus tard, étudiante, Claire effectue un job d'été, dans un fast food. C'est ce grand écart et l'usure du corps, la répétition des gestes, la soumission que la romancière narre ici.

 

 

Tentation : Le billet d'Alex 

Fournisseur : La bib de Dinard

Mon humble avis : Si j'ai voulu lire ce roman, c'est parce qu'une bonne partie s'y déroule dans un fast food (Mc Do, BK, peu importe) et que l'auteur y détaille les conditions de travail des petits employés négligeables et négligés... Il y a quelques années, suite à un licenciement économique et des problèmes de santé, j'ai fait le choix d'aller travailler au Mc Do... Il me fallait un job qui ne demande pas trop à mon cerveau abimé par un AVC, un poste à temps très partiel, sans responsabilités et où on fait les choses à l'instant T. J'ai donc bossé au Mc Do entre 43 et 45 ans... A l'âge où j'avais au moins le double de celui de mes collègues, et de certains de mes supérieurs hiérarchiques. Le fast food, honnêtement, ce n'est pas la mine ni les urgences d'un CHU débordés... Mon travail, sans être passionnant, aurait pu ne pas être désagréable, les rushes ont quelque chose de stimulant. Certes, je ne vendais plus de voyages à la carte aux Seychelles mais des Big macs. Beaucoup moins stressant... En cas d'erreur, rien de grave, ce ne sont pas des centaines ou des milliers d'Euros qui sont en jeu.

Quid donc de ce roman ? Je n'ai pas adhéré tant que ça au projet de la jeune romancière, celui de faire le parallèle entre sa jeunesse et la vie de son père à l'usine avec son expérience en fast food. Les passages de l'enfance sont très elliptiques et souvent implicites, décrits avec un style sec, aux phrases courtes, qui laissent peu de place à l'émotion et m'ont un peu laissé de marbre. Je ne suis pas sûr que ce parallélisme entre l'usine du père et le fast food de la fille soit très judicieux... L'usine pour le paternel, c'est toute la vie. Le fast food, en général, on ne fait qu'y passer... Et entre ces deux récits, il manque un coeur central qui donnerait à cette oeuvre un aspect plus abouti, un objectif plus limpide.

Mais là ou Claire Baglin excelle, c'est dans la description du présent, du microcosme social qu'est un fast food. Chapeau ! C'est là que se trouve l'originalité et l'utilité de ce roman. C'est avec minutie, exactitude, humour, ironie, lassitude, révolte, sens de l'observation et de l'analyse comportementale que Claire Baglin décrit le travail d'une équipière polyvalente ! Tout y est, depuis la répétition des gestes, l'usure du corps, la rapidité et la fatigue, la concurrence entre équipiers, les us, coutumes et langages inhérents aux fast foods et bien souvent ridicules, qui se prennent très aux sérieux, comme sur un front de guerre. Mais surtout et là je bénis Claire Baglin, elle met les mots, l'atmosphère, les expressions très justes pour évoquer ce qui ne se voit pas à l'oeil nu, qu'il faut vivre pour le savoir. Les humiliations, le harcèlement psychologique, l'aliénation, la lobotomie du petit personnel. Dans un Fast food, il ne faut pas penser, pas proposer. Il faut obéir. Certains managers nous parlent comme si nous étions des ados en camps de redressement. Equipier, c'est obéir, ne surtout pas chercher quelque autonomie de travail, même si vous connaissez votre mission, et éviter toutes initiatives.  De toute façon, soit elles seront reprochées, soit elles ne seront pas remarquées. Etre manager, c'est donner des ordres à quelqu'un qui sait déjà, la plupart du temps, ce qu'il doit faire. Tout cela, Claire Baglin le démontre parfaitement. 

J'ai quitté le Mc Do parce que je subissais le harcèlement psychologique de 3 connasses qui étaient mes N + 1. Evoqué auprès du chef du restaurant, il n'a pas été pris en compte, mes crises d'angoisses sont revenues, j'ai dit "stop".

Contrairement à l'auteure, j'aimais être en salle, le plus loin possible du comptoir et des managers... Là, je pouvais un peu plus être moi-même, développer le service client et travailler à l'évidence, et non sous les ordres. Et j'étais plus libre dans ma tête.

Petit exemple d'humiliation vécue : Devant une poubelle, une manager de 21 ans me demande : "Géraldine, sais-tu pourquoi il faut vider les poubelles ?". Je cherche une réponse subtile, me disant qu'on ne peut pas me poser une question aussi basique, donc je n'ose pas dire l'évidence : "Pour qu'elle ne déborde pas"... Donc je dis non... Et là, victorieuse devant mon ignorance, la manager me déclare fièrement : "pour qu'elle ne déborde pas". Des exemples comme cela, j'en ai à la pelle... La situation est tellement ubuesque que j'en reste coi... Je subis, je me soumets.

J'ai fini pour un temps mon poste officiel, celui de préparer les salades du déjeuner. Inoccupée, je ne vois personne au Mc Café alors que la vaisselle sale s'y accumule... Donc je vais mettre de l'ordre, je me démène... Un manager m'appelle, Géraldine, tu fais quoi là, ce n'est pas ton poste, revient derrière le comptoir. J'obéis...A peine derrière le comptoir, il réalise qu'il n'a rien à me faire faire donc me renvoie au Mc Café...

Je nettoie les vitres de l'espace jeux enfants... A court de produit vitres, je traverse le restaurant pour aller chercher un autre vaporisateur. Et là, un manager me surprend donc "sans rien faire".  "T'es sur quoi là Géraldine".... 

Bref, ce n'est pas le travail qui est archi pénible, je pense qu'il y a pire. Ce sont les conditions psychologiques, qui sont insupportables, inhumaines, intolérables et qui détruisent. Après, il ne faut pas s'étonner des difficultés de recrutement. Qui veut d'une telle pressurisation psychique dans un job où, quoiqu'il se passe, il n'y a jamais mort d'homme...

Par honnêteté, je mets un dièse à mes propos précédents.... Tout dépend évidemment des individus. Quand j'ai commencé au Mc Do, le chef de mon restaurant était un gars génial, humain, chaleureux, intelligent, confiant... Tout se passait pour le mieux. Quelques mois plus tard, il est parti... et avec lui, tout est parti à vau l'eau, les petits chefs se sont pris pour des grands chefs, et le vrai chef pour un saint, Dieu étant le propriétaire de tous les resto Mc Do des environs. Une fois, je me suis faite engueulée parce que j'avais osé parler à Dieu normalement, comme s'il était juste humain... Mais Seb et Charlotte, vous n'étiez pas comme les autres ;). C'est con, j'étais contente de pouvoir tout de même travailler malgré mes défaillances cérébrales et médicales... Mon passage au Mc Do a réduit en miette le peu de confiance professionnelle et sociale qui me restait. Depuis, je n'ai plus travaillé, je fais du bénévolat.

Tout ça pour dire que l'intérêt de ce roman se situe dans la description littéraire et dénonciatrice de la "vie" dans un fastfood. Si cela pouvait changer les choses, même d'un chouilla, ce serait déjà bien.

Rédigé par Géraldine

Publié dans #Littérature française

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A
C'est écoeurant de lire comment des petits chefs de rien ont abusé de leur mini-pouvoir pour te dégoûter du travail alors que tu étais pleine de bonne volonté. Ça, malheureusement, des petits chefs il y en a partout, c'est une des plaies de l'humanité à mon sens....
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P
Ton expérience personnelle est très intéressante. Je ne lirai sans doute pas le livre, mais j'ai aimé te lire, toi.
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K
Ton avis sur le livre est intéressant (je voulais le lire de toute façon) et ton expérience, franchement, c'est le plus!!!
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L
oui je crois que vraiment tout dépend de l'équipe , je connais plus d'un qui adorent travailler au MacDo je sais que ce sont des étudiants qui n'en ont pas fait leur métier mais ils ont préféré cette expérience à bien d'autres petits boulots
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